Egeablog - Turquie2023-06-28T12:43:19+02:00Olivier Kempfurn:md5:fc9dfa5de5fd9856c4c7bdd45e8ff3c1DotclearLa lutte des deux califesurn:md5:ccf355777672da178301055a6a5fdbd22014-08-15T21:59:00+02:002014-08-16T07:56:24+02:00adminTurquieIslamTurquie<p>L'élection de Erdogan à la présidence de la Turquie, le week-end dernier, constitue un tournant. Pas forcément pour ce qui concerne la vie politique intérieure turque, passablement agitée ces dernières années mais aux résultats clairs : l'assentiment d'une majorité absolue de la population à la politique suivie par l'AKP et son leader, Erdogan. Au-delà, plusieurs significations peuvent être tirées de ce scrutin.</p>
<p><img src="http://lesazas.files.wordpress.com/2014/01/erdo-califat2.png?w=611" alt="" /> <a href="http://lesazas.org/2014/03/31/erdogan-elu-a-lirregularite-majoritaire/">source</a></p> <p>Tout d'abord, la présidentialisation annoncée du régime renvoie, à l'évidence, à Ata Turk, Mustapha Kemal, fondateur de la Turquie moderne. On a parlé un temps du néo-ottomanisme pour qualifier la politique étrangère de la Turquie : desseins d'ailleurs vite arrêtés, malgré les ambitions initiales. Dans le cas présent, on pourrait paradoxalement évoquer un néo-kémaliste, même s'il faut préciser les choses pour expliquer ce paradoxe.</p>
<p>En effet, Erdogan veut remplacer la "figure" de Ata Turks et fonder une nouvelle "Turquie moderne". Il s'agit donc d'un kémaliste, non dans son programme laïc (venant de l'AKP, "démocrate-musulman", cela semblait absurde) mais dans la direction du pays venant d'une personnalité charismatique et guidant le pays vers les voies de son évolution. Cela a des résultats politiques et économiques, qui sont à l'évidence à la source de la popularité d'Erdogan ; mais il y a aussi cet attachement que les Français dénommeraient "monarchiste", l'attachement à la figure du chef, du sultan, du calife.</p>
<p>Car au-delà de la présidentialisation (et les références intéressantes aux deux modèles américain et français : que le modèle Français demeure un modèle alors que la laïcité turque de M. Kemal avait justement été inspirée très fortement de l'expérience française, voici quelque chose de significatif), l'observateur distingue les "clefs du pouvoir", à la fois temporel et spirituel.</p>
<p>C'est à ce point qu'Erdogan, pourrait dépasser Mustapha Kemal. Qu'on se souvienne, celui-ci avait supprimé le califat en 1924 (après avoir supprimé le sultanat en 1922). Le califat signifie l'héritage du prophète, fonction reprise par la dynastie ottomane à partir de 1516. Indirectement, compte-tenu de son "programme" islamisant", Erdogan pourrait revendiquer une forme nouvelle de califat. Elle lui permettrait de renouer avec l'empire ottoman et de dépasser le kémalisme, considéré comme un passage dans l'évolution turque.</p>
<p>Le califat ? le mot est brusquement revenu à la mode depuis que le dirigeant de l'EIIL, el Bagdadhi, s'est proclamé nouveau calife. Celui-ci fait référence au califat d'avant les ottomans, celui des Abbassides.</p>
<p>Voici donc venir la lutte entre les deux califats. Ce n'est pas un hasard si l'EIIL a pris en otage les diplomates turcs lors de la prise de Mossoul. Fondamentalement, cette "islamisme" là, ce "jihadisme" là n'est pas simplement de l'islamisme, c'est un projet géopolitique de reconstitution d'un régime du passé, qui régna autrefois de Bagdad à Damas. Ce programme s'oppose, évidemment, au programme visant à ressusciter un autre régime du passé, l'empire ottoman.</p>
<p>La lutte des deux califats oppose au fond deux survivalismes : l'un qui vise à faire revivre Omeyades et Abbassides, du 7ème au 13ème siècle, un "néo-oméyadisme" ; et celui qui vise à faire revivre l'empire turc, un "néo-ottomanisme". L'affrontement porte non seulement sur la concurrence des deux époques, mais aussi des deux dominations de l'espace moyen-oriental</p>
<p>A. Le CHardon</p>http://www.egeablog.net/index.php?post/2014/08/15/La-lutte-des-deux-califes#comment-formhttp://www.egeablog.net/index.php?feed/atom/comments/2423Quel jeu de la Turquie en Irak ?urn:md5:058c1f9ac62e9cb7f2942507ec9d8c7e2014-07-11T23:52:00+02:002014-07-11T23:52:00+02:00adminTurquieJihadKurdistanTurquie<p>L'observateur n'aura pas manqué de noter le silence turc à la suite de la prise de Mossoul par l'EIIL. Alors qu'on avait l'habitude de déclarations courroucées contre Assad, là, rien. Silence. Vous me direz, les propos enflammés contre Assad ont d'ailleurs été bien moins fréquents ces derniers mois, l'avez vous aussi remarqué ? Probablement le résultat d'affaires intérieures turques compliquées (l'élection et les nombreux scandales révélés dans la presse), la résilience d'Assad, l'ouverture de l'affaire ukrainienne qui a ouvert un autre front (avec là aussi une Turquie mutique), bref, au nord comme au sud la Turquie se faisait discrète. Est ce donc une attitude générale ? Une nouvelle ligne politique ? Peut être, mais en Irak, il y a des raisons bien particulières.</p>
<p><img src="http://www.zamanfrance.fr/sites/default/files/styles/full/public/eiil_turcs_enleves.jpg" alt="" /> <a href="http://www.zamanfrance.fr/article/15-turcs-auraient-ete-enleves-en-irak-10317.html">source</a></p> <p>Qu'elle était la position préalable ? Elle était guidée par trois facteurs. Le premier était l’Alliance tacite avec le Kurdistan autonome dirige par Barzani. Le deuxième était le partage de l'exportation de pétrole, venant d'Irak (kurde, donc) mais aussi d'Iran (chut, personne ne fait semblant de s'en apercevoir). Cela permettait de rentabiliser le terminal pétrolier de Ceyhan sur la méditerranée et donc d'éviter mer rouge au Sud, Caucase et mer noire au nord. Cela arrangeait bien des gens. Le troisième était le soutien aux oppositions syriennes, incluant toutes les variantes d'islamisme auxquelles l'AKP n'était pas foncièrement hostile. Tout se passait à peu près bien.</p>
<p>Qu'elle est la ligne de l'EiIL ? Tout d'abord de "désyrianiser" la lutte contre Assad et donc de la rendre trans frontalière, dans une logique d'affrontement entre sunnites et chiites même si l'on parle officiellement de "jihad". De ce point de vue, les conflits internes syriens entre groupes armes jihadistes (Al Nousrah contre EIIL) changent brutalement de dimension avec la percée de Daech à Mossoul. Ce qui n'était qu'une affaire "intérieure" devient subitement une affaire régionale. Cela devrait motiver une réaction turque mais celle-ci est gênée par plusieurs facteurs. Le moindre n'est pas la prise de 60 otages turcs par Daech à Mossoul. Soudain, il devient délicat d'adopter une posture de fier à bras. Certes, "on ne négocie pas avec les terroristes" mais cela ne signifie pas pour autant qu'il faille les provoquer ou les insulter. Une certaine discrétion est de bonne politique.</p>
<p>D'autant qu'elle rend bien des services, notamment de ne pas avoir à trancher les nombreux dilemmes soulevés par la prise de Mossoul.</p>
<p>Le premier tient au bouleversement de l'équilibre kurde. Le Kurdistan autonome a immédiatement, en réaction, pris position à Kirkouk que les Kurdes irakiens revendiquent depuis dix ans. Dès lors, les moyens d'une indépendance semblent soudainement plus accessibles. Certains leaders kurdes ont commencé à l'évoquer. Cela aurait bien des conséquences ailleurs. Notamment sur le PKK , mouvement kurde de Turquie. Or, les kurdes irakiens sont eux mêmes divisés en deux tendances. Celle de Barzani, donc, qui tient aujourd'hui les rênes à partir de son fief du nord ouest et qui était hostile au PKK : c'est bien cette hostilité qui permit le rapprochement d'affaires avec le gouvernement turc ; et celui de Talabani, au sud est du Kurdistan irakien, avec donc moins de pouvoir local mais soutenant plus le PKK. Ces équilibres fonctionnaient tant que le Kurdistan n'était pas "indépendant". Ils doivent changer le jour de l'indépendance. Ce qui n'arrange pas du tout Ankara. Notamment pour ce qui concerne le Kurdistan "turc".</p>
<p>Simultanément, l'EIIL remet en cause le décodage frontalier de la région. Beaucoup d'observateurs affirment avec assurance qu'il n'est pas satisfaisant, qu'il est hérité d'un découpage colonial (les accords Sykes Picot) etc. Souvent, de telles assertions suggèrent des découpages "ethniques" qui sont souvent krypton racialistes et qui surtout ne tiennent pas compte de la réalité extrêmement mélangée de la région (et en fait de toutes les régions du monde). Bêtement, rares sont les régions ethniquement pures et ce pseudo réalisme est une façon cynique de recommander le nettoyage ethnique. Pas sûr que ça donne toujours de bons résultats (êtes vous convaincus par la Bosnie aujourd'hui?).</p>
<p>Mais revenons à nos affaires. S'il y a eu un découpage mandataire, il a été confirmé par des traités signés tout au long des années 1920 et qui ont fondé tous les États de la région. Tous. Dont la Turquie. Autrement dit, si un découpage de l'Irak est éventuellement admissible, une recomposition des frontières ne l'est pas, notamment pour la Turquie.</p>
<p>Enfin, Daech pose la question du soutien turc à l'islam politique. Car pendant de longs mois, Ankara n'a pas été très regardant aux trafics se déroulant au travers de sa frontière méridionale. Des mauvaises langues murmurent même qu'elle aurait soutenu aussi l'EIIL. C'est ballot. On appelé ça l'apprenti sorcier. L'inconvénient des marionnettes qu'on croit instrumentaliser (soyez modernes, dites proxys), c'est que souvent elles échappent à leur maître (non, je n'ai pas parlé de l'ISI et des talibans, qu'aller vous donc chercher?).</p>
<p>Voici pourquoi la Turquie est aujourd'hui très gêné par ce qui se passe en haute Mésopotamie. Ce qui explique son silence. Aujourd'hui, l'ambiguïté est sa meilleure tactique qui permet de préserver l'avenir.</p>
<p>Se taire peut être stratégique.</p>
<p>A. le Chardon</p>http://www.egeablog.net/index.php?post/2014/07/11/Quel-jeu-de-la-Turquie-en-Irak#comment-formhttp://www.egeablog.net/index.php?feed/atom/comments/2405Turquie et remue-ménagesurn:md5:f261675ce51b0291c29bdad3df28d1092013-12-18T22:50:00+01:002013-12-18T23:06:06+01:00adminTurquieTurquie<p>Ainsi donc, <a href="http://abonnes.lemonde.fr/europe/article/2013/12/17/vaste-coup-de-filet-dans-l-entourage-de-m-erdogan-en-turquie_4336062_3214.html">un vaste coup de filet frappe l'entourage</a> de M. Erdogan, dont le ministre de l'intérieur. La police turque aurait en effet arrêté plusieurs des proches de celui-ci, dont son fils... Imagine-t-on quelque part une police arrêter l'entourage du ministre de l'intérieur ? C'est tellement impensable que cette nouvelle signifie bien plus qu'une simple affaire de corruption. Il s'agit d'un conflit politique intérieur très violent qui aura des répercussions alentours.</p>
<p><img src="http://scd.france24.com/fr/files_fr/imagecache/france24_ct_api_bigger_169/article/image/turquie-mapFR.jpg" alt="" /> <a href="http://www.france24.com/fr/20110703-vaste-coup-filet-cadre-enquete-matchs-truques-turquie-fenerbahce/">source</a></p> <p>En premier lieu, on ne saurait être surpris par la violence politique de ce "coup bas" qui apparaît comme un complot, bien préparé, et usant pour l'instant des voies légales pour affaiblir (abattre) l'adversaire.</p>
<p>La Turquie est en effet un pays divisé. Pas simplement par la question kurde : puisque justement, il y a plusieurs indices qui suggèrent non un règlement politique, mais un modus vivendi entre Ankara et la minorité orientale de l'Anatolie : cet accord se faisant sur l'exportation en grande quantité du pétrole kurde d'Irak, qui profite à tout le monde (et accessoirement, probablement, à l'Iran).</p>
<p>Mais l'AKP, le parti islamiste de M. Erdogan (le premier ministre) a assis son pouvoir par une lutte impitoyable contre les kémalistes. Les procès Ergenekon n'ont pas été d'une transparence la plus absolue, et d'une certaine façon, ses adversaires font à M. Erdogan ce que lui-même n'a pas hésité à pratiquer. Mais quels sont donc ces nouveaux adversaires, puisque les kémalistes ont été mis de côté ?</p>
<p>Certes, il y a une part du peuple turc, qui s'était élevé largement au printemps au moment des émeutes de la place Taksim. Mais cela ne suffit pas. A ce moment en effet, le vice premier ministre avait manifesté une certaine mansuétude envers les manifestants. Il s'était fait remettre en place par le PM. Or, il ne s'agit pas simplement de la divergence entre deux hommes politiques, mais entre deux courants. D'un côté, celui de M. Erdogan qui se veut le champion d'un islamisme populaire. De l'autre, celui des fidèles de M. Gülen, qui ont longtemps soutenu l'AKP mais qui souhaitent conserver leur particularisme. Or, celui-ci était menacé avec certaines décisions de M. Erodgan, visant notamment à interdire le réseau d'écoles des Guhlenistes.</p>
<p>Il faut donc lire ce qui se passe à la lecture de cet affrontement politique entre deux lignes islamistes. Il va de soi que tous les opposants à M. Erodgan, y compris Kurdes et laïcs, soutiennent les gülenistes dans l'affaire.</p>
<p>Tout le monde a en effet en vue les élections municipales de mars, et au-delà l’éventuelle décision de M. Erodgan de modifier la constitution pour demander un nouveau mandat présidentiel, qui lui est aujourd’hui interdit. C'est cette dérive autocratique que contestent les Gülenistes et au-delà une grande partie du pays. Toutefois, M. Erdogan demeure populaire et a été réélu sans difficulté au cours des scrutins précédents.</p>
<p>Cette épreuve de force continue de fragiliser le pays. Cela devrait avoir des répercussions à l'extérieur : tout d'abord en gelant la politique étrangère turque : elle est déjà assez éteinte au vu de l'évolution en Syrie, mais aussi du peu de succès turc auprès des révoltes islamistes qui se sont déroulées dans le monde arabe. Surtout, c'est la question du modèle turc d'un islamisme démocratique qui est posé de façon sous-jacente.</p>
<p>Le Chardon</p>http://www.egeablog.net/index.php?post/2013/12/18/Turquie-et-remue-m%C3%A9nages#comment-formhttp://www.egeablog.net/index.php?feed/atom/comments/2333