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Comment comprendre la position française sur l'Iran ?

L'observateur demeure interdit devant le raidissement français à propos de l'Iran. Malgré les contre-feux allumés aux États-Unis par le NYT (absolument pas le journal officiel dans lequel l’administration choisit de fuiter ce qu'elle a envie de fuiter) et en France par le Nouvel Obs (Vincent Jauvert a montré plus de perspicacité) et qui expliquent que pas du tout, M. Fabius n'a pas été le maximaliste qu'on a dit, l'article du Monde de ce soir raconte bien ce qui s'est passé (même si l'éditorial de première page tire une conclusion radicalement différente de l'article en pages intérieures : mais ce n'est pas la première fois qu'on constate que les éditoriaux du Monde sont aux ordres). Bref, la France ultra radicale : mais du coup, la question est : "pourquoi ?"

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On nous a dit qu'il s'agissait d'être ferme sur les principes. Moui. J'imagine que ce sont les mêmes qui se précipitent pour appeler à des "solutions politiques" et qui les refusent lorsqu'elles se présentent. Variante : il s'agit de ne pas se satisfaire du verre à moitié plein pour déplorer le verre à moitié vide. Moui là encore : faut-il rappeler qu'on est au début d'une négociation, que l'on doit y aller pas à pas, échange par échange, et qu'on ne peut pas tout obtenir tout de suite. On n'évoquera pas bien sûr la "priorité européenne" dont on nous assure qu'elle est l'alfa et l'oméga de notre politique étrangère : pour une fois que la baronne Ashton jouait un rôle positif, voici qu'on vient exploser la première manifestation d'une diplomatie européenne. Classe !

Bref, personne ne croit un instant que l’objet du dissentiment soit le fond de la négociation nucléaire. Donc, les motifs sont ailleurs.

La deuxième série d'arguments tient aux relations aux Américains, avec là encore plusieurs variantes, que je vais essayer d'énumérer :

  • les US et l'Iran ont négocié dans notre dos, on n'est pas content. C'est sûr, voici un bon argument pour faire capoter une négo, cela s'appelle de la hauteur de vue.
  • il y a répartition des rôles, le gentil et le méchant, et la France comme d'habitude joue au méchant, au roquet qui aboie. Là, il faut dire que si on n'y croit pas une seconde (malgré les éditos sus mentionnés du NYT et de l'Obs), il faut dire qu'il y a un talent indescriptible dans le rôle du bad guy qui roule des épaules et joue à l'abruti. Vraiment, on est habité par le rôle, l'incarnation est saisissante. Ce qui rend d'ailleurs l'hypothèse peu crédible, car quand on joue au bad guy, on le fait subtilement, on joue pour savoir s'arrêter à temps de façon que ça aide vraiment la négociation.
  • En fait, on joue la différence pour montrer a) qu'on n'est pas aligné sur les Américains (qu'allez vous donc croire ?) b) qu'on rend à Obama la monnaie de sa pièce quand il nous a lâché en Syrie. Bon, là, c'est vraiment et très possiblement une des raisons. D'accord, c'est à courte vue car vouloir montrer son indépendance de cette façon, c'est jouer petit jeu sans s'apercevoir qu'on s'est mis tout le monde à dos : Américains et Iraniens mais aussi Européens. Il n'y avait qu'à lire ce blog qui décrit les réactions des internautes à la décision française pour observer d'une part les réactions du peuple iranien, d'autre part des commentateurs français, pour s'apercevoir que la position FR n'a pas été comprise (décidément, je suis parfois capable d'une langue de bois, moi...)

La troisième série d'arguments tient à des calculs faits non pas sur les acteurs réels, mais sur les voisins.

  • Pour les uns, la France se serait alignée sur la position ultra radicale d'Israël. Constatons que pour le coup, il y a similitude de vue. Mais sauf à faire de procès d'intention, on ne voit pas en quoi cette proximité détermine la position française.
  • Pour les autres, la France recherche surtout les bonnes grâces des Saoudiens, et au-delà des Arabes de la péninsule. ON remarque alors qu'il y a quelques visites officielles organisées dans les jours qui viennent, que les Saoudiens sont furieux envers les Américains, et qu'on espère obtenir à court terme des contrats qui seront des bonnes nouvelles pour une économie française sinistrée, alors que des élections se profilent (rappelons nous qu'il s'agit d'hommes politiques, donc obnubilés par les "échéances" et que la position de long terme pèse peu face aux calculs microtactiques).

C'est cette dernière explication qui justifie, probablement, la position française. Cela doit être la nouvelle forme de la "politique arabe de la France" Pour le coup, elle est jouée avec détermination et sans prudence, puisque effectivement, la France a tout fait pour que cette négociation échoue. Si le coup réussit, OK (même si on traînera pendant pas mal de temps le ressentiment iranien). S'il rate... Ben on aura perdu sur tous les tableaux.

Car on imagine assez bien les Américains furieux, aller négocier en solo avec les Iraniens, mouillant les Russes et les Brits au dernier moment, avec des Chinois et des Allemands qui se pointeraient pour être sur la photo. Et on aura raté un marché de 80 millions d'habitants éduqués.

Coup de dés... Il reste que là, on est quand même apparu grandement franchouillard : arrogants, parlant plus fort que tout le monde, cassant les pieds à tout le monde, avec de vagues excuses sur la défense des principes, et sans panache ni crédibilité. Là, il y a de l'exception française, c'est sûr, mais il n'y a pas de la grandeur de la France.

Le Chardon

Commentaires

1. Le mercredi 13 novembre 2013, 10:35 par yves cadiou

L'on pourrait penser que notre diplomatie est brouillonne, mais c'est plus que ça parce qu'un brouillon est sous-tendu par une intention un peu élaborée. Notre diplomatie est souvent erratique, sans objectif autre que d'exister et c'est encore le cas aujourd'hui.

L'on peut observer que ça rappelle les périodes de notre histoire qui ont précédé des catastrophes. Des alliances et négociations incohérentes ont amené en 39-40 une guerre pour laquelle nous n'étions pas prêts. La politique étrangère menée sans but défini par notre gouvernement il y a un siècle nous a impliqués, par le biais de l'alliance russe, dans le conflit austro-serbe qui ne nous concernait pourtant pas. La politique étrangère incompréhensible menée par Napoléon III avant 1870 a servi à la fois les desseins de la Grande-Bretagne et ceux de l'Allemagne. Ces souvenirs sont plutôt inquiétants au regard de la situation actuelle.

Dans cette affaire iranienne, l'on peut imaginer qu'il y a un but : l'analogie entre la position française (ou du moins la position de notre ministre des AE) et celle d'Israël a été notée par tout le monde, souvent sans se gêner pour en tirer des conclusions médisantes.

Deux remarques sémantiques quant à ce billet :
1 C'est sûrement par inadvertance que vous employez le mot « roquet » qui rappelle le Premier ministre de la France en 1985 à un moment où il n'était visiblement pas au mieux de sa forme. C'est pourtant inoubliable : http://www.ina.fr/video/I09058993  

2 « L'exception française » est heureusement autre chose que le spectacle actuel, inscrite dans la géographie et plus ancienne que la préhistoire. Au sujet de l'exception française je vous recommande le livre « Géopolitique de la France », paru aux éditions technip il y a un an ; l'auteur est docteur en sciences politiques et maître de conférences à Sciences Po : http://www.editionstechnip.com/sour...

le chardon : oui, pour le roquet, c'est par inadvertance. C'est 'inconvénient de ces "figures" qui sont intemporelles : on les utilise sans forcément savoir toutes les fois où elles ont utilisées. Donc je ne l'ai bien sûr pas fait exprès.


2. Le mardi 19 novembre 2013, 14:26 par Le céphalopode masqué

Peut-on m'expliquer pourquoi notre Président est en Israël, présentement ?

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