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L'Ukraine, avant-garde européenne ?

Selon l'explication "main stream", l'Ukraine serait en attente d'Europe. D'ailleurs, l'Europe aurait une influence positive et stabilisatrice sur son voisinage, comme l'affirme Jacques Rupnik qui explique que l'élargissement a été la plus grande réussite européenne (voir ici). Au fond, ce serait à cause de notre autoconfiance (non, je n'ai pas dit autosuffisance) en notre attrait que nous aurions raté la négociation du partenariat oriental. Du coup, les Ukrainiens seraient "en retard" d'Europe" mais n'ayez pas peur, bonnes gens, le sens du progrès va dans le bon sens et avec un peu de temps, il seront parmi nous. Moui. Et si on adoptait le point de vue inverse : ce qui se passe en Ukraine serait annonciateur d'une évolution plus générale ? Sans être forcément sûr de la validité de l'hypothèse, je vous propose au moins de l'explorer.

source

Qu'observe-t-on en Ukraine en effet ? Une situation économique catastrophique, qui rappelle la situation de tous les États qui se sont écroulés ces dernières années. Un gouvernement régulièrement élu à la suite d'élections jugées assez transparentes. Un très haut niveau de corruption généralisée à tous les partis politiques. Des partis politiques désunis et sans ligne claire, notamment de la part de l'opposition sans leader, quand la majorité est sous la coupe des hommes d'affaire.

Cette absence d'unité générale entraîne une profonde insatisfaction de la population qui ne fait plus confiance au système politique, jugé inefficace tant pour le développement général que pour ses aspirations. Cela provoque la mobilisation de groupes radicaux et, pour certains, extrémistes. Ils décident donc un rapport de force physique assorti d’une profonde guerre de l'information, notamment à destination des médias occidentaux.

Voici donc des gens en colère dont les revendications excluent toute idée de négociation. Ainsi, sous le seul pouvoir de la rue, il s'agirait que le gouvernement démissionne ainsi que le président et qu'on aille immédiatement à des élections. Un programme ? aucun sinon le seul "front du refus". Un nihilisme radical et énervé qui se nourrit de son propre ressentiment pour ignorer superbement toute proposition de "transaction". Transiger : tel est en effet le lot de toute démocratie. Tel n'est pas le but de cette "faction de la rue".

Ce prurit s'exaspère et se propage dans une situation où personne n'est fort. Paradoxalement, ce qui frappe l'observateur est la faiblesse de chaque camp. Car si on dénonce les brutalités du pouvoir, force est de constater qu'il a finalement peu de forces fiables à mettre en action et qu'il ne peut donc pas contrôler le pays. L'armée refuse d'entrer dans le jeu et la police n'est pas assez nombreuse. Aussi voit-on des nervis hâtivement recrutés faire le coup de main sans réussir à dominer les révoltés. S'il y a donc beaucoup de violence elle ne suffit pas à forcer le retour au calme.

Dès lors les forces de fragmentation se répandent. Certains évoquent la partition de l’Ukraine selon une ligne Est-Ouest. Constatons d'abord que les blocs sont au nord-ouest et au sud-est : la côte de la mer Noire est plutôt russophone. Quand à la partie occidentale, si la Galicie semble très "remontée", la Ruthénie semble moins marquée.

De plus, le discours des opposants paraît non pas pro-européen mais pro-ukrainien. Au fond, il s'agit de refuser toute domination. L'UE est instrumentalisée au profit du seul projet qui pourrait rassembler, le projet nationaliste. Or ce projet n'est pas partagé par toute l'opposition. La minorité active déborde donc d'agit-prop. On ne peut s'empêcher de comparer la situation à la Russie de 1917. A l'époque toutefois y avait-il une idéologie et un projet alternatif. Dans le cas présent, les Occidentaux soutiendraient un mouvement qu'ils croient démocratique quand son projet serait nationaliste (voir par exemple cet article du Guardian).

Tous ces éléments semblent annonciateurs de ce qui pourrait se passer en Europe :

  • une crise économique et financière insoluble : les bons esprits bien-pensants oublient juste que l'Ukraine est en quasi faillite et que seule la Russie a accepté de prêter des milliards. L'Europe ne prêtait que quelques millions, avec autant de sujétions associées que celles des Russes. L'UE qui a déjà du mal à renflouer la Grèce n'est certainement pas prête à payer pour l'Ukraine.
  • une classe politique dévaluée, sans projet affirmé et décidée seulement à venir au pouvoir.
  • une population lasse de tout et fragmentée, désireuse surtout de manifester sa colère au risque de la fragmentation générale et d'extrémismes sans structure
  • des tendances séparatistes plus ou moins affirmées (qu'on pense à Catalogne, Flandre, Écosse, Padanie, ..)
  • un pouvoir d’État qui a perdu l'efficacité du maintien de l'ordre et qui ne contrôle plus la population.

En fait, seul ce dernier point sépare encore l'Ukraine de l'Europe. En cela, peut-être est-elle en avance.

Comprenons-nous bien : je ne suis pas persuadé du scénario que j'avance. Il aurait un caractère inéluctable qui n'est pas encore avéré, puisque je constate que les Européens ont finalement surmonté la crise économique et politique qui les frappe depuis six ans. Toutefois, je ne peux que constater les similitudes et surtout la fragilité généralisée. Autrement dit, plutôt que de regarder les Ukrainiens avec la hauteur du bourgeois cossu qui observe supérieurement son voisin insolvable sombrer dans la violence, j'émets l'hypothèse que cette débandade pourrait tout aussi bien nous frapper. Et qu'au lieu de mettre de l'huile sur le feu pour se venger du camouflet de Yanoukovitch, l'Europe aurait intérêt à s'entremettre pour trouver une voie de sortie.

Le chardon.

Commentaires

1. Le vendredi 7 février 2014, 23:19 par JLH

Merci pour votre message.
Toutefois je ne comprends pas précisément où vous voulez en venir.
Déjà, il convient de voir qui manipule éventuellement les activistes ukrainiens, en leur finançant la révolte et les centaines de drapeaux "UE" qu'on a tous vus à la télé? Dans le mille: un certain M.Soros..(le même qui nous envoie les femen et leur finance bed & breakfast)
Si je comprends bien vous admettez que ces révoltés contre le gouvernement ukrainien actuel sont manipulés par l'UE et en même temps manipulent eux-mêmes l'UE pour tenter de sortir de ce qu'ils croient être un joug plus néfaste?
C'est plutôt dangereux, et on en arrive aux points de scénario que vous dressez. Mon avis est que la crise grave économique tant que politique et systémique, nous y sommes déjà largement! L'entrée de l'Ukraine en UE serait un exemple supplémentaire de l' inéluctable poursuite de la fuite en avant folle et vitale à l'UE et son euro, devenus religions (ce qu'on appelle le mainstream), mais rassurons-nous encore un peu: le processus d'entrée prend quelques années!
J'ajoute pour finir que oui - les chantres de l'UE invoquent constamment la "stabilité", c'est-à-dire l'éternel unique argument de "paix"... quand en fait il s'agit de "neutralisation".. surtout dans une espèce de guerre froide réchauffée contre la Russie.. car l'étape prochaine de l'UE est le "grand marché transatlantique", qui sera le vrai bloc contre l'"union douanière eurasiatique".
Bref si nous sommes contre le mainstream, soyons moins édulcorés!

2. Le dimanche 9 février 2014, 20:44 par yves cadiou

L'observation de JLH, concernant les drapeaux de l'UE, rejoint une autre question, qui est la même et que je me pose en voyant défiler à Nantes les “anti-aéroport” contre l'aéroport du Grand Ouest, ainsi qu'en voyant défiler un peu partout ceux qui se prétendent “antifascistes” : leurs drapeaux et calicots ne sont pas du bricolage, du chiffon peint à la main et accroché sur des manches de balai, mais ce sont visiblement des produits fabriqués en usine. L'on est donc obligé de s'interroger sur la provenance de ces accessoires (du moins si l'on est naturellement enclin à s'interroger) et de conclure que ces manifestations spectaculaires et médiatiques bénéficient d'un soutien logistique sérieux, organisé, calculateur, qui n'a rien de spontané ni de romantique.
Par conséquent, il faut rester optimiste : grâce à la Toile nous pouvons observer des détails significatifs, comme ici ces drapeaux de l'UE qui sont trop beaux pour être honnêtes, et échanger publiquement nos points de vue.
.

Nous vivons un changement d'époque : le monopole de la diffusion de l'écrit puis celui de la diffusion radio-électrique à sens unique firent perdurer pendant tout le XXème siècle une situation qui désormais appartient de façon irréversible au passé.

On parlait de l'Ukraine et je suis sorti du sujet mais pas vraiment : en réalité cette observation, sur ce nouveau siècle qui rend impossible la maîtrise de la comm' , est valable quel que soit le sujet traité.

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