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Ukraine : l'affrontement des faiblesses

Regardant les infos du soir avec Mme Le Chardon, vint le moment du reportage sur l'Ukraine. Curieusement, le journaliste suggérait sa gêne en faisant un reportage sur les radicaux des protestataires, en montrant bien sûr des citoyens, mais aussi des milices d'extrême-droite. Cela signale un certain flottement de la presse internationale. Ces troubles de perception de la grande presse illustrent qu'elle a du mal à trouver son manichéisme habituel (pensez : il faut exposer des situations complexes dans des reportages de maximum deux minutes...).

source

Bon, là je fais le faraud quand soudain, Mme Le Chardon me demande : "et toi, qu'en penses-tu ?". Là, il a fallu trouver quelque chose d'assez simple et en même temps assez explicatif ... Voici :

L'observateur ne peut qu'être gêné, bien sûr, par les images de la répression qui, comme toutes répression, sont toujours difficiles à voir. L'Occidental a tellement l'habitude qu'on lui présente la révolution comme le peuple se mettant debout pour défendre sa liberté que tout maintien de l'ordre public, surtout dans les situations extrêmes comme celles de Kiev, font immédiatement penser à ces situations.

Dans le même temps, le même observateur s'interroge en permanence sur les motifs de ceux qui se lèvent. Quel est le programme ? Il s'aperçoit alors que les choses sont très confuses et qu'en face on a adopté une position du tout ou rien. Quelque chose comme "dehors ou dehors". Cette absence d'ouverture à toute négociation force l'adversaire (ici, le pouvoir) à passer au stade de la répression, puisque la rue ne veut pas autre chose que le rapport de force.

Ainsi, en début de semaine on apprenait que les négociations avaient permis de libérer l'occupation de la mairie de Kiev en l'échange de la libération d'une centaine de manifestants arrêtés. Et patatras, voici que cela part en quenouille. Autrement dit aucune partie n'a vraiment la possibilité de négocier. Mais aucune n'a vraiment les moyens du rapport de force. Et surtout du rapport de forces maîtrisé.

En effet, malgré les apparences et les portraits dictatoriaux faits de Yanoukovitch, celui-ci n'a finalement pas beaucoup de pouvoirs : l'armée refuse d'entrer dans le conflit, les forces de police sont en nombre limité, le parti des régions n'est pas des plus homogènes et certains oligarques hésitent et sont tout sauf des jusqu'aux-boutistes. En fait, il y a peu d'idéologie mais la volonté de conserver des leviers pour poursuivre les affaires....

De l'autre côté, l'opposition est au pluriel : il y a trois partis qui ne réussissent pas à se mettre d'accord entre eux, qui n'ont pas d'autorité suffisante sur leurs suiveurs pour les entraîner vers un compromis politique, et qui de plus sont en permanence dépassés par les radicaux, mélanges d'hooligans et d'extrêmes-droites. Aussi l'étiquette "pro-européen" a-t-elle du mal à être accrochée à cette opposition, ce qui explique de nombreuses hésitations de la part des Européens.

Voici au fond un affrontement des faiblesses. Ceci explique la violence qui se met en œuvre. Elle est le résultat d'affrontements non-maîtrisés et donc d'une escalade de la violence. La politique du pire arrive souvent à atteindre ce qu'elle ne considérait que comme un moyen mais qui devient le résultat : la politique du pire aboutit au pire.

Du coup, toutes les déclarations de fermeté, les condamnations morales et autres blocages de comptes bancaires aura peu d'effets : les acteurs n'ont plus les moyens de contrôler les forces qui ont été mises en mouvement. On s'achemine donc vers une aggravation du conflit et donc une séparation de facto du pays.

Dès lors, la prochaine question qui se pose va être la suivante : de quel côté va basculer la ville de Kiev ? et cette partition (sous une forme plus ou moins fédérative, comme proposée par la Russie) entraînera-t-elle des nettoyages ethniques ?

Bref, la faiblesse de l’État et l'absence de culture politique ont suscité une fragmentation délétère du pays. Ce n'est pas une bonne nouvelle, ni pour l'Ukraine, bien sûr, ni pour l'Europe. Car je crains que cela ne donne de mauvaises idées à tous les excités déçus du système... (voir ici)

Le chardon

Commentaires

1. Le vendredi 21 février 2014, 11:39 par Café du Commerce

Vous ouvrez votre billet par la “gêne” et les “troubles de perception” de la presse et c'est vrai. Ces temps-ci, on pourrait ouvrir tout sujet par ça. C'est que nous vivons un changement de siècle.
L'autre jour au Café du Commerce, je demandais à un ami quelle était, selon lui, la date à laquelle avait commencé le XXème siècle français : 1870 et la Troisième République ? 1889 et l'Exposition Universelle ? 1914 et les chamboulements de la Grande Guerre ?
Il me fit une réponse inattendue : « le XXème siècle a commencé en 1901 et il s'est terminé en l'an 2000. Pour la même raison dans les deux cas.
---- Je ne te parlais pas du calendrier mais de la sociologie française.
---- J'ai bien compris ta question : 1901, c'est le moment où les premiers élèves de l'école obligatoire pour tous (et donc de la lecture obligatoire pour tous), instaurée en 1882, atteignent l'âge adulte et deviennent des électeurs. En démocratie représentative, dans la mesure où les élus considèrent que la presse exprime l'opinion publique voire qu'elle la façonne, la lecture pour tous donne une influence énorme à ceux qui détiennent le monopole de la diffusion de l'écrit.
---- Admettons dans la première partie du siècle. Mais l'influence de la presse écrite a été fort amoindrie lorsqu'on est passé à la radio-diffusion ?
---- Fondamentalement ça n'a rien changé car la radio (la TSF), et plus tard la télé, sont des moyens de diffusion à sens unique, tenus par les mêmes ou par d'autres, mais fonctionnant toujours avec d'un côté des émetteurs soucieux d'influencer l'opinion et par conséquent d'influencer les élus, et d'un autre côté le récepteur passif que constitue le public.
---- Donc tu fais commencer le XXème siècle en 1901. C'est original. Et ne reculant devant aucun paradoxe, tu le fais terminer en 2000 ?
---- Oui parce qu'en 2000 l'information à sens unique et monopolisée disparaît à mesure qu'apparaissent la Toile, les blogs, les diffusions de témoignages et d'analyses par mailing-lists, les vidéos mises en ligne par des observateurs amateurs : alors non seulement le monopole de l'information et de ses commentaires disparaît mais en même temps le Peuple prend conscience de lui-même, de la valeur des idées fondamentales qu'il partage nonobstant quelques divergences. Il prend conscience surtout de sa liberté de penser et de l'abus de pouvoir dont la presse a fait usage jusqu'alors.
---- On l'a vu notamment dans la manif dite “Jour de colère” : les journalistes qui étaient jusqu'alors protégés ou ignorés ne le sont plus et sont, au contraire, molestés.
---- Et l'on peut comprendre que ce changement de statut du journaliste pose un dilemme aux intéressés : doivent-ils en parler pour essayer de gagner la sympathie due aux victimes mais au risque d'étendre le phénomène ? Ou considérer que c'est une info gênante et la passer sous silence ? Par conséquent je dis que le XXème siècle a duré de 1901 à 2000.
---- Je vais en faire part au Chardon : ça justifiera qu'il introduise souvent ses billets par la “gêne” et les “troubles de perception” de la presse. »

Yves Cadiou

2. Le samedi 22 février 2014, 15:56 par melt Chlorine

C'est incroyable comment l'accumulation d'énergie derrière les digues montées de bric et de broc par le dialogue UE-Russie-Ukraine ne parvient pas à éloigner, chez moi, le souvenir d la révolution roumaine.
Panique est le mot clef de la résolution de la situation.
Les défection successives, de représentants des autorités d'une part, ou d'insurgés d'autre part, vient modifier le rapport des forces. Que la tête de l'Etat ou ses moyens viennent à donner l'impression de prendre la fuite, et c'est le berserk chez les insurgés, et alors la curée.
De Gaulle à Baden-Baden ou Yanukovich à Khaarkiyv, deux formes de regroupement de force et de soutien qui ne prend de sens que dans la comparaison avec celles du camp adverse.
Cordialement,

le chardon : oui, vous avez raison d'évoquer le cas roumain d'il y a 25 ans, cela y ressemble tout à fait. Même niveau de corruption, même faillite de l'Etat. Ici en plus, faillite économique. Et puis observez la Roumanie aujourd'hui : toujours des manifestations, toujours une élite corrompue, toujours l'absence d'Etat, 2M de Roumains hors des frontières...... et un pays qui appartient à l'UE.....

3. Le samedi 22 février 2014, 16:14 par chlorine melt

Ah oui, j'oubliais la révolution kirghize d'avril 2010 débouchant sur le régime du président... le pivot : après qu'il a quitté la capitale et que les régions ont esquissé un mouvement de désorbitage du pouvoir central : la défection régionale, couplée avec la menace de la scission fédéraliste, possible bascule des insurrections longues.
MC.

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