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Angélisme(s) et cheyssonisme

Ainsi, après le coup de force russe en Crimée, on a entendu des déclarations ulcérées. Que BHL et les Femen disent du mal de la chose, cela incite somme toute le Français moyen à se dire que peut-être Poutine a des raisons... Que John Kerry explique qu'envahir un pays fasse penser au XIX° siècle et pas au XXI° nous enseigne que 2003 (l'Irak) date du XIX° siècle. Mais laissons de côté ces fariboles angéliques et allons au choses sérieuses : celles qui parlent de rapport de force et de vraie diplomatie, pas celles des déclarations émotives et moralisantes qui constituent plutôt des obstacles que des aides à la solution de la crise. Pour cela, quelques considérations méritent réflexion (cliquer sur le titre pour lire la suite).

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Comme le signale Jean Quatremer, les discours radicaux de certains ne sont pas la meilleure chose à faire : ainsi, entendre la Pologne ou les pays Baltes dire qu'ils se sentent menacés est un peu surjoué. Utiliser l'Otan n'est de même pas la meilleure façon de faire baisser la tension, surtout quand on n'a pas l'intention d'engager une intervention militaire, puisque les États-Unis ne le veulent pas (voir ce qui était dit sur ce blog il y a peu) et que bien d'autres Européens ne le souhaitent pas non plus. Bref, surjouer le retour à la guerre froide est déplacé et inutile.

Car Poutine a bien fait attention à ne pas aller trop loin : ses unités ne sont pas reconnaissables à dessein, comme l'explique bien R. Mielcarek. De même, s'il a fait un coup de forces, il n'a pas tiré un coup de feu ce que rappelle P. Boniface. D'une certaine façon, l'affaire paraît bien moins violente que ce qui s'est passé à Kiev et rien d'irrémédiable n'a été commis. Comme si V. Poutine se gardait bien d'aller trop loin, comme s'il pensait que l'ensemble de l'Ukraine était récupérable. Ou encore : une partition serait finalement à son détriment car il n'aurait que la Crimée. Il veut plus et parie probablement sur les limites du pouvoir ukrainien qui n'a que très peu de moyens et des soutiens faibles et désargentés. Autrement dit encore, Moscou peut espérer rejouer la séquence 2004 2010 où, après avoir essuyé la révolution orange, les "pro-Russes" avaient ensuite regagné le pouvoir démocratiquement Bon, ç'avait été pour mettre en place Yanoukovitch qui est tout sauf un grand homme politique... M. Poutine choisira quelqu'un de plus habile la prochaine fois.

Regardons alentour : la Chine reste plutôt derrière la Russie, et la Turquie explique qu'elle n'a pas de problèmes avec la Russie (voir ici). Il faut dire qu'elle cogère la mer Noire avec Moscou et se satisfait très bien de ce duopole, et qu'elle nourrit quelques ressentiments envers l'UE...

Bref, M. Poutine est à la fois un stratège (but général : contrôler l'étranger proche avec L'Ukraine comme point pivot) et un très bon tacticien puisqu'il a du "tact", selon la définition d'Alain : il sait jusqu'où ne pas aller trop loin. Du coup quand on lit des journalistes voire des hommes politiques dire qu'il est devenu fou, on se met à penser que ce sont eux qui n'ont aucune profondeur réflexive et rationnelle et qu'ils sont emportés par leur passion. Vladimir est un joueur d'échec, qui est adepte du rapport de forces car il sait l'évaluer.

Dès lors, toutes les jérémiades officielles ne sont que des injonctions pour les médias. J'entends ainsi certains critiquer vertement notre ministre des affaires étrangères : c'est le prendre au pied de la lettre alors qu'il ne fait qu'animer la scène sans y jouer de rôle réel. Au fond, il fait du cheysonnisme, à la suite de cet excellent ministre de François Mitterrand, débarqué au bout de trois semaines pour avoir dit la vérité sur le théâtre d'ombres : "et à la fin, naturellement, nous ne ferons rien" (on ne lui reprochait pas un mensonge, on lui reprochait au contraire d'avoir dit tout haut la vérité : à l'époque déjà, on faisait attention au paraître, nihil novi sub sole). Bref, gardez vous de confondre l'angélisme officiel, le cheyssonisme de rodomontades et la réalité des prix qui se joue derrière les rideaux.

Pendant ce temps là en effet, le vrai angélisme est en action : celui d'Angela Merkel. Oserai-je le mot : il s'agit de Realpolitik. En cela d'accord avec B. Obama, Angela négocie "en vrai" avec V. Poutine, car elle sait qu'il 'est rationnel. Elle parle russe, il parle allemand et même si l'un et l'autre ne s'apprécient pas, ils savent reconnaître en l'autre l'existence d'un vrai politique. (Il y a des absents dans la photo ? oui, je sais, n'insistez pas).

Quel est l'objet des négociations ? Selon ce billet qui n'a pas été confirmé ni repris par la presse, il s'agit principalement de bouclier antimissile, avec quatre revendications. (1. The Kiev government whichever form it takes must sign an obligation to abstain from any ties with NATO. 2. Neither the US, NATO or any other power will deploy X-Band or BX-1 radar stations on Ukraine territory whether on land, sea or air. This guarantee would additionally cover elements of an anti-missile missile shield and ballistic missiles placing Russia in their sights. 3. Restrictions will govern the types of weapons allowed the Ukrainian army. 4. Local military bodies will be established to protect the Russian-speaking and ethnic Russian regions of Ukraine).

On observe (si ces revendications sont réellement celles exprimées) beaucoup de réalisme mais aussi une porte de sortie et d'interprétation dans le dernier point. Cela reste à discuter. Car il s'agit au fond d'obtenir le scénario le plus probable, qui satisferait tout le monde. J. Pinatel suggère en effet quatre scénarios : une Ukraine dans l'UE (très improbable), une partition (non désirée), une Ukraine trait d'union entre Europe et Eurasie (peu probable étant donné la faillite de l’État et la faillite financière de l'Ukraine)et une finlandisation, qui apparaît comme la moins mauvaise des solutions.

Ainsi, pour Poutine, une finlandisation permettrait de préserver l'avenir et de revenir au scénario post 2004 : après cinq ans de pouvoir de l'actuelle opposition, marquée par une corruption et une division exceptionnelles, le parti des régions avait gagné l'élection présidentielle en 2010 et les élections législatives de 2012 avec une vraie majorité, qu'on ne peut pas simplement attribuer à de l'achat de vote. Pour les États-Unis qui ne cherchent qu'à se désengager des anciens théâtres, pour l'Allemagne qui ne veut pas se charger d'un nouveau poids financier et qui veut maintenir de bonnes relations avec la Russie, la finlandisation apparaît également comme une bonne solution.

Risquons nous à dire qu'elle ne désobligerait pas les intérêts français. Être finalement en dehors du jeu présente quelques avantages. Continuons donc à clamer notre sévérité (cela plait aux Européens de l'est) en nous gardant bien d'entraver le processus de négociation en cours (autrement dit, ne refaisons pas le coup de Genève lors des négociations avec l'Iran).

PS : si vous regardez bien, l'Ukraine a un revenu per capita inférieur à l'Albanie. Avec plus de 40 millions d'habitants. Est-ce le moment de les intégrer dans l'UE ? Égoïstement, est-ce l'intérêt de l' UE ???

Le Chardon

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