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Ukraine, une crise du 21ème siècle (3/4)

Finalement, je reviens à mon idée initiale car il y a évidemment besoin de définir les scénarios probables, avant de décrire les options des acteurs (et donc leurs stratégies).

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Le scénario à écarter: Il s'agit de dresser les scénarios réellement envisageables. En disant cela, j’écarte bien sûr la présentation fantasmatique qu’on a pu entendre récemment sur la progression de divisions blindées envahissant l’Ukraine pour aller saisir je ne sais quels objectifs : cette vision passéiste, mélange à la fois de souvenirs décalés de la Deuxième Guerre mondiale et de confusion avec la doctrine soviétique de la grande époque, va tellement à l’encontre de la plus basique analyse géopolitique qu’on ne peut que l’écarter. (Cliquer sur le titre pour lire la suite)

On ne peut l’examiner qu’en émettant des hypothèses sur les calculs qui ont présidé à ce scénario simplificateur : volonté de monter aux extrêmes ? Vue un peu bornée de spécialistes ravis de retrouver leurs ennemi générique de la War school ? Souci de justifier des appareils et organisations ? Je vous laisse interpréter car au fond, ce n’est pas très important. Le réaliste (vous, lecteur et moi, auteur) va au-delà et tente de saisir la « réalité » politique qui doit présider aux positionnements à choisir.

Les planificateurs sérieux ont l’habitude de sérier les modes d’action de l’adversaire entre un scénario « le plus dangereux » et un scénario « le plus probable ». Ici, j’hésite car j’ai malheureusement l’impression que le plus probable est le plus dangereux… Je tenterai toutefois de définir un scénario composite en fin de bond qui n’est pas beaucoup plus optimiste…

Le scénario irénique discerne une gestion « à la XIX° siècle » de la crise. Vous savez, ce XIX° qui a été récemment décrié par un certain John Kerry présentait malgré tout l’avantage que les grandes puissances, quand il y avait un problème quelque part, se réunissaient dans une conférence et réglaient la crise par la négociation, sans vraiment demander leur avis aux populations concernées. Ce n’était peut-être pas très « bien » (moral, juste, éthique, …) mais au moins, ça marchait à peu près. Donc, selon ce scénario, Américains et Russes se rencontrent, négocient et trouvent le moyen de régler la crise sans trop de casse. Il y a des signes de ce scénario : MM. Kerry et Lavrov se rencontrant avec des options sur la table (la « fédéralisation prônée par les Russes, refusée par les Américains), chacun acceptant de facto le fait criméen comme acquis. Un « de facto ». Accessoirement, c'est en soi un succès pour la Russie qui après avoir été chassée du G8 (oh ben flûte alors!), redevient un acteur avec qui on cause (vous avez dit : isolé ?).

On trouverait un accord (au-delà des mots) où Washington échangerait une Ukraine encore à peu près unie, préservant l’avenir et un développement économique et politique qui l’amènerait, dans le temps long, peu à peu, vers un modèle occidental, contre des garanties données à la Russie à la fois pour les minorités russophones mais aussi contre un « gel », une neutralisation, une « finlandisation » de l’Ukraine. La référence finlandaise est intéressante : d’une part parce que la Finlande est neutre à la suite d’un combat valeureux contre les Soviétiques au cours de la Deuxième Guerre mondiale ; d’autre part parce que la Finlande a développé peu à peu une économie de marché qui lui a permis de rejoindre les standards occidentaux pour adhérer, finalement, à l’UE. Bon, cela étant ce scénario de la finlandisation a été proposé il y a trois mois par la Russie : il y avait une fenêtre de tir qui n'a pas été saisie à l'époque et je crains qu'il ne soit trop tard pour y revenir.

Ce scénario supposerait donc deux choses : parier sur le temps long, et considérer que l’Ukraine est une zone frontière, un entre-deux qu’il convient sagement de partager avec la Russie. Il supposerait en outre qu’on arrive à contrôler à la fois les autres acteurs et l’évolution intérieure du pays. Or, c’est là que le bât blesse et nous amène au second scénario.

Ce second scénario est celui de la bosnisation (somalisation, libanisation, ….) de l’Ukraine. Celle-ci fait en effet face à de telles difficultés politiques comme économiques qu’elle irait vers un effondrement intérieur. Autrement dit encore, il ne s’agirait pas, comme je l’entends parfois, d’une partition : ce scénario est trop simpliste car il parie sur une solidité étatique.

Or, l’Ukraine vit depuis vingt ans dans une corruption accélérée qui ne touche pas seulement les hommes mais aussi le fonctionnement de l’État. Le gouvernement provisoire n’a ainsi pas de contrôle sur le pays (pas plus que Yanoukovitch ne disposait de la police ou de l’armée : j’avais signalé en son temps -le 19 février- sa faiblesse). Surtout, les mesures économiques drastiques (prêts en cours irremboursables, mesures d’austérité du FMI, prix de l’énergie) devraient mener le pays à une crise d’abord économique, puis sociale, dramatique.

L’effritement serait général et encouragerait, comme dans tous les processus chaotiques, les extrêmes. Bien sûr à l’est, dans ces minorités russophones, mais aussi à l’ouest où les extrémistes de Pravy Sektor recruteraient à tour de bras. On connaît la mécanique : fragmentation et poussée des extrémistes, heurts et violences, épuration ethnique, déplacés et réfugiés…

Or, contrairement à ce que je lis partout, il n’y a pas besoin que la Russie pousse à ce scénario pour qu’il se réalise. L’Ukraine me semble aujourd’hui doublement en faillite : faillite des institutions, faillite économique. Beaucoup d’acteurs (et pas seulement les Russes qui ont plutôt intérêt à jouer la carte de la neutralisation d’une Ukraine à peu près unie) poussent à ce scénario, comme on le verra dans le prochain billet.

Quel peut-être alors le scénario de synthèse ? celui d’un État semi-failli, qui garderait une fiction d’État porté à bout de bras par la Communauté internationale, sans trop regarder comment le pouvoir est effectivement assuré (vous avez dit Libye ?) et où l’on évite des sécessions trop visibles. Avec une crise sociale très profonde, des violences et des déplacements de population et donc des aides humanitaires à apporter. Et une question non résolue : qui paye les 300 milliards ?

Le Chardon

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