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US et Ukraine : essayer de comprendre

Ce weekend, deux déclarations "contradictoires" : d'un côté, le SG adjoint de l'Otan, l'Américain Vershbow, déclare à Washington que "l'Otan et la rUssie ne sont plus partenaires, mais adversaires". De l'autre, le général Breedlove, Saceur et donc américain, annonce que finalement, les Russes n'envahiront pas l'Ukraine alors qu'il battait les tambours de guerre depuis six semaines pour affirmer le contraire, contre l'opinion des observateurs (dont le Chardon) qui n'en voyaient pas l'utilité.

Vous me direz que l'Otan, ce n'est pas les Américains et vous aurez raison. Il reste que ces deux responsables "américains" exprimaient aussi des positions américaines car il arrive, parfois, que l'Otan serve quand même aux États-Unis pour exprimer leurs vues. Or, elles apparaissent bien contradictoires. Voici donc le résultat de mes réflexions, non assurées car autant la Russie me parait très prévisible, autant les États-Unis me font l'effet d'un mystère entouré de secret enveloppé dans de l'inconnu. Voici donc une tentative de Washingtonologie. Je sais, il est presque sacrilège d'essayer de savoir ce que pense le roi, que dis-je, l'empereur, mais j'ose. J'ose tout.

source

Regardez tout d'abord le Département d’État : Kerry empile les déclarations martiales et agressives. Les neo-cons sont encore dans les parages. Victoria Nuland (Mme Kagan) continue ses déclarations tonitruantes et le patron de la CIA se balade à Kiev (vous me direz, son homologue russe vient d'y passer ces jours-ci et ça n'a pas fait beaucoup de bruit).

Du côté du DOD, silence radio : vous avez entendu Chuck Hagel ? Dempsey ? Rien, nada, niente, nix, nichevo, pas un mot plus haut que l'autre. Si, Hagel, on l'a entendu à propos de l'Asie et les Chinois ont coincé, à l'occasion de la tournée asiatique d'Obama. Genre le DOS en EUrope et le DOD en Asie ? Les gars, vous n'avez plus les moyens de faire les deux, il vous faut choisir un "adversaire"...

Comme si les idéologues étaient aux affaires étrangères et les réalistes prudents à la défense, eux qui savent ce que c'est qu'une arme nucléaire et même, tout simplement, que la guerre ça tue, eux donc diraient molo les basses. Il n'y a qu'aux États-Unis où le MAE monte sur ses ergots neo-cons et le MD la joue prudente et raisonnablement réaliste. Comment ? Vous avez dit "ailleurs aussi" ?

Pendant ce temps-là, que dit le président, POTUS de son état donc pouvant et puissant, en latin dans le texte ? Ben il ne dit rien. Il lit les sondages et a bien vu qu'une majorité d'Américains est isolationniste. Vous savez, ce truc dont parlent les internationalistes depuis des générations mais qui ne s'observe pas tellement dans la population américaine. Ben là, si, il y a comme un tournant. Genre "tous des sauvages". Barack a surtout retenu le "from behind". Bref, le président s'occupe des affaires intérieures et laisse la bride sur le cou(p) à ses spécialistes.

Pendant ce temps là, on joue la guerre économique. Donc le complexe militaro-industriel est à la manœuvre : "les Européens, augmentez vos budgets", "il faut signer le TTIP", "vous savez on a plein d'outils que ça s'appelle antimissile et je suis sûr que vous rêvez d'en acheter", des trucs du genre, sans même parler des SMP dont on dit qu'ils trouvent l’Ukraine un pays riant, mais cela n'a pas été officiellement confirmé donc ce n'est que des racontars, il n'y a que les Russes qui ont envoyé des spetnaz et assimilés dans le coin. Ce qui est aussi très probable, soyons candides mais pas stupides.

Voilà où l'on en est. C'est du moins le moyen que j'ai trouvé d'expliquer les déclarations contradictoires des uns et des autres et cette "politique" hésitante et peu assurée. Quand je vous dit qu'il n'y a plus de direction stratégique à Washington, je crois avoir tout résumé.

Dès lors, tous les Européens ou Ukrainiens qui attendent une direction claire sont dans l'embarras. Chef, on aimerait bien obéir mais ce serait bien que vous donniez des ordres.

Pendant ce temps-là, Poutine s'afflige : " ils sont encore pires que ce qu'on croyait, comment ont-ils pu nous mettre une pile pendant la guerre froide ? " Il continue donc sa rhétorique stratégique, une opération d'info ici (pas mal le coup de "je conseille aux pro-russes de ne pas tenir leur référendum"), une manœuvre nucléaire là (avec juste trois ICBM d'exercice tirés : vous me direz, le même jour le Pakistan a tiré un missile courte portée mais personne n'en a parlé), en espérant qu'en face on va se mettre à comprendre. Mais en face, il n'y a plus de pratique stratégique. Le danger n'est pas à l'est, il est à l'ouest, de Cracovie à San Francisco.

Ce soir, c'est l’absence occidentale qui me fait surtout peur. L'à-peu-près est tellement propice aux accidents.

Le Chardon

Commentaires

1. Le vendredi 9 mai 2014, 09:14 par ssp consult

Brillant. Notamment parce que soumettant à la question un sujet ici benoîtement qualifié en toute éthique de "propagande" dès lors que c'est le journaliste d'en face qui s'exprime... alors que les choses sont si simples, puisque Poutine (qui n'est pas le peuple) est "sexiste et machiste" comme l'assène sur les ondes un géopoliticien de renom... Il n'y a pas débat, tout au plus des bas, donc. Mais pas de hauts, avant ce papier.

Ah la post gauche, qui voyait "les SS 20 à l'Est" mais maintenant que les SS (re)vinrent ne trouve rien à dire alors même qu'elle "commémore": car les "fascistes" seraient ici, ils votent (mal) et sont donc des populistes, là bas ils sont "the people" luttant pour la démocratie.

Ceci dit notre meilleur fou n'est pas allié, notre meilleur allié n'est pas (si) fou: la cible ce n'est pas le Russe (sinon comme vous le soulignez, on n'aura pas l'occasion de commettre une seconde erreur...) mais bien nous: il est temps de rentrer dans le rang, de devenir des véritables godillots plutôt que des cireurs de pompes (même dans un palais dit républicain). Car le grand Allié se sait très, très malade... Plus le temps des ronds de jambes, vite, des ronds, à toutes jambes les godillots.

Chercher à détruire plus globalement tout ce qui conteste (même timidement, hum Merckie?) le droit de l'Allié aux grandes dents et grandes oreilles à faire ce qu'il lui plaît, voici la stratégie, DOD et DOS réunis et commandités par Big Corp.

Le Russe doit retirer ses troupes de son propre territoire quand l'Ukrainien s'en approche en masses, avec les godillots qui regardent devant, tandis que l'Allié lui avance ses pions: 2.000 milliards de dollars accumulés sur nos arrières pour acheter jusque dans nos bras nos Alstom tandis que nos young leaders brassent en affectant d'activer l'empire du soleil le vent...

Alors nous forcer à signer le TTIP dites-vous, bêtement soupçonneux ? Non,signez plutôt le TIPP, nous prélèverons. Is it safe?

2. Le samedi 10 mai 2014, 19:01 par François

il serait surtout temps que l'Europe se prenne en main et devienne une vrai puissance politique, militaire et économique.... mais bon on peut toujours rêver...

Concernant le déploiement de troupes russes aux frontières ukrainiennes, c'est là quand même un outil de menace pour attiser les tensions entre les deux pays. L'ukrainien n'a pas tant de troupes que ça (on parle de 15 à 30000 hommes effectifs) et il est aussi sur son territoire, d'autant plus qu'il doit rétablir l'ordre public.

3. Le lundi 12 mai 2014, 09:24 par ssp consult

Finalement l’Est apporte du nouveau à nos vieilles démocraties. Point tant au plan de l’arithmétique (30.000 est différent de 30.000) mais précisément au plan des fondements de l’état de droit, tandis que la véritable guerre achève le dépeçage de nos entreprises et de nos économies, dans le silence des veaux mutés en agneaux. Ceci sur trois niveaux.

Nous apprenons que l’armée a vocation à rétablir l’ordre public : ce n’est pas le moindre objectif des agitations autour du terrorisme depuis plusieurs décennies désormais que de permettre l’expression sereine de telle énormité et de préparer le terrain à des aventures moins exotiques. Car l’ordre public par essence même ne peut émaner que de l’expression légitime du pouvoir du peuple. En l’espèce un pouvoir issu de l’atteinte à l’ordre public ne saurait, a minima se prévaloir dudit qu’après l’onction démocratique non point par l’élection d’un homme (étonnant de voir les « démocrates » vanter les mérites de l’homme providentiel ?) mais de la création préalable d’un cadre de valeurs et lois fondamentales. Un pouvoir factieux ne peut établir un ordre public qu’à partir d’une Constituante.

Ce référent indéfini, il est intéressant de relever que l’emploi non seulement de la troupe mais de sa puissance de guerre (blindés lourds, artillerie, plans de feux, chasse etc.), contre des citoyens, a fortiori en période électorale post coup de force, paraît donc une action normale aux yeux de personnes de bonne foi. Ianoukovytch s’étant bêtement contenté de recourir à la police, il ne saurait bénéficier de cette onction, que l’on pourrait toutefois trouver extrême, dangereuse pour la démocratie, point seulement là bas.

Le dernier point constitutif de l’action en vue du respect de l’ordre public est celui de l’institution équipée de l’outil (ultra) répressif. Ces « troupes » ukrainiennes que vous croyez évoquer, nous en avons vu la valeur en Crimée face à de véritables troupes « dégriffées ». Nous avons vu que police et l’armée ayant refusé de « rétablir l’ordre », il a fallu l’envoi attesté mais opportunément occulté, au-delà de mercenaires, d’un « garde nationale » (qui a bien pu semer cette idée d'un outil qui n'existe plus en Europe depuis des siècles?) créée ad hoc à partir des troupes de choc de la place Maïdan. C'est cela que vous évoquez, en réalité.

En l’espèce, il est encore plus dangereux pour nous de cautionner l’usage de milices appuyées d’hélicoptères de combat pour tirer sur d’autres citoyens, miliciens ou pas. Dangereux pour notre vestige de crédibilité internationale, dangereux pour notre armée qui risque, en plus de sa survie budgétaire, devoir très vite désormais affronter des questions éthiques qu’elle croyait enfouies. Et dangereux pour notre propre démocratie, dont l’ordre public ne manquera point d’être miné par l'effet social des actions sur nos arrières de gens dont personne ne se soucie de savoir s’ils nous écoutent lorsqu’ils viennent dans nos bras enlever nos éoliennes. Tout ceci n’est pas « sans danger ». C'est probablement ce que le Chardon veut éveiller comme réflexion.

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