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14-18 : les erreurs des politiques

Dans le cadre de la série orchestrée par Echoradar sur l'été 14, je m'essaye moi aussi à une étude sur le sujet. La Première Guerre mondiale a fait l’objet d’études nombreuses, de la part des historiens comme des stratégistes. Souvent, ils pointaient les succès et les échecs des chefs militaires : Joffre, Nivelle, Mangin, Pétain, Castelnau, Foch… On entend moins souvent de discours sur la responsabilité du politique. Or, depuis que notre bon maître Clausewitz nous a appris la remarquable trinité, on sait que la guerre est guidée non seulement par le chef militaire, mais aussi par le responsable politique et par le peuple. Le politique en 14 est l'objet de ce billet.

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Au sujet du peuple, on peut noter au passage plusieurs éléments : la mobilisation effective de la population, l’évolution probable des sentiments des combattants entre le moment de la déclaration de guerre et les années de conflit qui suivirent (d'un patriotisme sincère à un devoir résigné), les différences entre l’avant et l’arrière, la propagande, etc. Cela mériterait un article en soi mais aujourd’hui, il me sied de parler du politique. Or, je vois trois moments où son action est critiquable.

Le premier est celui de la montée à la guerre. Raymond Poincaré, alors président, consacre un ouvrage entier (« Les origines de la guerre », 1921, réédition par L. A. Perrin, 2013) à démontrer que toute la faute de la guerre incombe aux Austro-hongrois et aux Allemands et que la France est irréprochable. Je ne disconviens pas que les puissances de la triplice aient été largement fautives. Je note au passage que l’annexion de la Bosnie-Herzégovine en 1908 n’a pas été la meilleure chose à faire. Oui, Vienne a été va-t-en guerre et oui, l’Allemagne de Guillaume II a poussé tant et plus pour aller à la guerre. Il reste qu’il y a eu une sorte de négligence de la part des dirigeants français qui ont pu « laisser faire ». Pourquoi entamer cette croisière à partir de mi-juillet où Poincaré emmène le président du Conseil, Viviani, pour aller dans les pays du nord et rendre visite à Nicolas II ? Pourquoi isoler ainsi les deux têtes de l’exécutif alors que l’on entend des ultimatums ? Peut-on croire alors que la crise des Balkans est réglée ? Peut-on se permettre de ne plus être en liaison et donc de handicaper la prise de décision ou les initiatives qui auraient pu, qui sait, prévenir le conflit ? Accessoirement, cette visite est interprétée par Nicolas II comme un blanc-seing qui l'autorise à déclencher la mobilisation générale. Le problème est qu'en 1914, une mobilisation générale n'est pas un simple acte logistique, elle déclenche la course à la guerre (ce qu'on ne savait pas à l'époque). La mobilisation n'est pas simplement un acte préparatoire (nécessaire chez les Russes) elle est un facteur politique qui incite l'autre (ici, l'Allemagne) à mobiliser à son tour.

Qu’on me permette de croire qu’il y avait, alors, une sorte de « tolérance » à la guerre, notamment de la part de Poincaré. Comme si elle était inéluctable et qu’elle constituait, de toute façon, un moyen de résoudre bien des choses : tout d’abord l’état de tension qui existait alors en Europe ; pourquoi pas aussi, un vague sentiment de « revanche » qui était somme toute explicable dans es esprits français ; peut-être la conviction que la préparation militaire avait été convenablement menée, que le dispositif d’alliance était efficace (on avait détaché l’Italie et l’Angleterre était avec nous), que les hommes et les matériels étaient prêts (loi de trois ans, naturalisation massive, canons en nombre, trains...) ; peut-être aussi des raisons de politique intérieure, pour contrer la montée d’un mouvement ouvrier embarrassant (l'assassinat de Jaurès n'est pas un hasard)… Autant de raisons possibles, probablement faibles si on les prend une à une, mais qui conjuguées en faisceau suscitent ce détachement de juillet 1914. Bref, malgré le plaidoyer de Poincaré, il faut bien convenir que les dirigeants français n’ont pas tout fait pour prévenir le conflit. Cela ne signifie pas qu’ils en sont responsables, bien sûr : il y a une différence entre être un élément actif et être un agent passif. Mais ils ne peuvent s'absoudre de toute responsabilité.

Le deuxième moment nous porte en 1917. A l’époque, les Autrichiens veulent des pourparlers de paix. L’empereur Charles Ier propose une paix séparée, la restitution de l’Alsace-Lorraine et la restauration de la souveraineté belge. Le ministre autrichien des affaires étrangères torpille la négociation en annonçant, dans un discours d’avril 1918, que la France revendique l’Alsace-Lorraine et empêche la paix (ce qui était contraire à la vérité et à l’état des négociations). Ici, Clemenceau réagit en publiant le lendemain la première lettre de Charles Ier : celui-ci est obligé de démentir et de couper court. Dans ce cas très précis, Clemenceau a été fautif et aurait dû trouver d’autres voies et moyens que cette réaction brutale. Après tout, récupérer l’Alsace-Lorraine n’était-il pas un des buts de guerre français ? Bref, la réaction de Clemenceau est fautive. S'agit-il simplement d'une maladresse ou d'une volonté ? je ne sais.

Le dernier moment est celui de la toute fin de la guerre, en novembre 1918. Autant la décision de Clemenceau a provoqué la poursuite de la guerre six mois plus tôt, autant il arrête trop brutalement l’offensive en novembre. En effet, la deuxième moitié de 1918 voit le retour de la guerre de mouvement, comme le signale egea. L’Allemagne est bousculée, elle a perdu ses capacités de variantement logistique (réseau ferré distribué autour de Metz), elle est militairement désorganisée et démoralisée et la situation politique intérieure est plus que dégradée. Or, on arrête les hostilités alors qu’on n’a pas encore réoccupé l’ensemble du territoire français, sans même parler du territoire belge ou de la saisie de la rive gauche du Rhin. Il eut fallu continuer et porter le fer chez l’ennemi, afin de manifester sur place le triomphe des armes (ce que Poincaré recommande, d'ailleurs). Pour le coup, on a perdu nos nerfs et la France aurait pu continuer seule, même si les Américains voire les Anglais ne nous avaient pas suivi. Cet arrêt précoce a pesé à la fois sur les négociations de paix mais aussi sur l’entre-deux guerres.

Le lecteur l’a constaté : ces « décisions » ont des conséquences variées et il est toujours aisé de « refaire l’histoire » quand on connait la suite : Réinterpréter l’armistice du 11 novembre est chose facile quand on sait la Deuxième Guerre mondiale, pointer la négligence de Poincaré est aisé quand on sait que la guerre va durer quatre ans, chose inimaginable à l’époque. Il y a donc de l’anachronisme dans ce billet, j’en conviens. Mais il a l’utilité de pointer l’acteur politique qu’on oublie trop souvent dans l’analyse de la guerre.

Car autant les chefs militaires se préparent toute leur vie à conduire les hostilités, y a-t-il un seul « manuel de guerre à l’usage du décideur politique » ? Au moins à l'époque les politiques se préoccupaient de la guerre.

Arthur Le Chardon

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