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La lutte des deux califes

L'élection de Erdogan à la présidence de la Turquie, le week-end dernier, constitue un tournant. Pas forcément pour ce qui concerne la vie politique intérieure turque, passablement agitée ces dernières années mais aux résultats clairs : l'assentiment d'une majorité absolue de la population à la politique suivie par l'AKP et son leader, Erdogan. Au-delà, plusieurs significations peuvent être tirées de ce scrutin.

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Tout d'abord, la présidentialisation annoncée du régime renvoie, à l'évidence, à Ata Turk, Mustapha Kemal, fondateur de la Turquie moderne. On a parlé un temps du néo-ottomanisme pour qualifier la politique étrangère de la Turquie : desseins d'ailleurs vite arrêtés, malgré les ambitions initiales. Dans le cas présent, on pourrait paradoxalement évoquer un néo-kémaliste, même s'il faut préciser les choses pour expliquer ce paradoxe.

En effet, Erdogan veut remplacer la "figure" de Ata Turks et fonder une nouvelle "Turquie moderne". Il s'agit donc d'un kémaliste, non dans son programme laïc (venant de l'AKP, "démocrate-musulman", cela semblait absurde) mais dans la direction du pays venant d'une personnalité charismatique et guidant le pays vers les voies de son évolution. Cela a des résultats politiques et économiques, qui sont à l'évidence à la source de la popularité d'Erdogan ; mais il y a aussi cet attachement que les Français dénommeraient "monarchiste", l'attachement à la figure du chef, du sultan, du calife.

Car au-delà de la présidentialisation (et les références intéressantes aux deux modèles américain et français : que le modèle Français demeure un modèle alors que la laïcité turque de M. Kemal avait justement été inspirée très fortement de l'expérience française, voici quelque chose de significatif), l'observateur distingue les "clefs du pouvoir", à la fois temporel et spirituel.

C'est à ce point qu'Erdogan, pourrait dépasser Mustapha Kemal. Qu'on se souvienne, celui-ci avait supprimé le califat en 1924 (après avoir supprimé le sultanat en 1922). Le califat signifie l'héritage du prophète, fonction reprise par la dynastie ottomane à partir de 1516. Indirectement, compte-tenu de son "programme" islamisant", Erdogan pourrait revendiquer une forme nouvelle de califat. Elle lui permettrait de renouer avec l'empire ottoman et de dépasser le kémalisme, considéré comme un passage dans l'évolution turque.

Le califat ? le mot est brusquement revenu à la mode depuis que le dirigeant de l'EIIL, el Bagdadhi, s'est proclamé nouveau calife. Celui-ci fait référence au califat d'avant les ottomans, celui des Abbassides.

Voici donc venir la lutte entre les deux califats. Ce n'est pas un hasard si l'EIIL a pris en otage les diplomates turcs lors de la prise de Mossoul. Fondamentalement, cette "islamisme" là, ce "jihadisme" là n'est pas simplement de l'islamisme, c'est un projet géopolitique de reconstitution d'un régime du passé, qui régna autrefois de Bagdad à Damas. Ce programme s'oppose, évidemment, au programme visant à ressusciter un autre régime du passé, l'empire ottoman.

La lutte des deux califats oppose au fond deux survivalismes : l'un qui vise à faire revivre Omeyades et Abbassides, du 7ème au 13ème siècle, un "néo-oméyadisme" ; et celui qui vise à faire revivre l'empire turc, un "néo-ottomanisme". L'affrontement porte non seulement sur la concurrence des deux époques, mais aussi des deux dominations de l'espace moyen-oriental

A. Le CHardon

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