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Le point sur le Donbass

Le lecteur régulier du Chardon aura remarqué que j'étais resté assez silencieux sur l'affaire ukrainienne, depuis deux mois. Le seul billet récent date du 15 juillet et j'y évoquais mon incertitude. Bêtement, je me tais quand je n'ai rien à dire (plus fréquent en été, bizarrement, ce qui est dommage car la plupart des opérations militaires ont lieu à cette période pour des raisons qui m'échappent mais ont peut-être lien avec la météo ou la volonté d'embêter le plagiste, au choix) et je me laisse aller à dire que je n'y comprends goutte. Pas très sérieux pour un géopolitologue mais si vous étiez sérieux, je ne suis pas sûr que vous me liriez. Tout ceci pour vous dire qu'il est temps, quand même, de formuler quelques hypothèses.

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Une des premières questions à répondre est : Poutine a-t-il le choix des cartes ? en effet, deux théories s'affrontent : la première est celle de l'action progressive et du grignotage. Alors, je saisis la Crimée et je parie sur la déliquescence du système ukrainien pour rebâtir une large zone d'influence, dans le marigot opaque des oligarques ukrainiens dont je connais la corruption. Pendant ce temps-là, je pourris la situation dans le Donbass pour augmenter le chaos et forcer Kiev à perdre des forces dans un effort de guerre trop lourd pour lui. La seconde explication estime que Poutine ne joue que ce dont il dispose et que les seuls radicaux prêts à la suivre ne sont pas à Odessa ou Dniepropetrovsk mais dans le Donbass, qui heureusement est limitrophe et contribue à 60 % au PIB ukrainien. Agissons ici, on verra bien ce qui sortira de la partie tactique.

Probablement, la réponse est une conjonction des deux : la pari sur l'écroulement économique et politique mais aussi l'appui sur les zones favorables, la Galicie étant considérée comme perdue et de peu de valeur.

La deuxième question est différente : comment expliquer l'évolution militaire du conflit dans le Donbass ? en effet, le début de l'été a vu la progression des forces ukrainiennes qui peu à peu ont pris contrôle d'une partie de la région, jusqu'à presque encercler Donetsk et Lougansk. Depuis août cependant, on assiste à une inversion de tendance, comme si le point culminant avait été passé.

Plusieurs hypothèses peuvent expliquer cette évolution. Elles sont compatibles, relativement. Les dire ne signifie pas qu'elles sont vraies, elles demeurent des hypothèses.

  • Kiev a bénéficié d'une part d'un sursaut national avec une certaine mobilisation pour disputer la région aux dissidents ; or, cet effort s'épuise, d'autant que les unités ont du mal à être approvisionnées et qu'il n'y a surtout plus de relèves. Accessoirement, le nombre de pertes est élevé et atteint le moral de "l'arrière" (on parle de 15 morts par jour côté armée régulière ; la ministre "anticorruption" vient de démissionner parce que son mari est mort là-bas le 10 août; etc).
  • Kiev a bénéficié d'autre part "d'aides extérieures", parce que les SMP ça n'est pas fait que pour les chiens et qu'il n'y a pas de raisons que seul Poutine utilise les proxys. Accessoirement, on peut même imaginer des conseillers militaires très discrets mais là, mon imagination risque de me jouer des tours et vous allez m'accuser d'un mauvais roman d'espionnage, je brise donc là. Ceci explique les succès initiaux mais la nécessité du camouflage impose de ne pas aller trop loin (là où Poutine paraît moins gêné). Dès lors que les troupes de manœuvre s'épuisent (hyp précédente), cette aide ne suffit plus surtout si l'adversaire augmente à ce moment là son effort.
  • La stratégie Kiévienne ne réussit pas : elle vise à séparer la population des séparatistes en organisant à la fois un siège (et donc un blocus du ravitaillement et le pourrissement des conditions de vie) et des bombardements indiscriminés. Pas de chance, cette stratégie est toujours vouée à l'échec car dans les souffrances, une population soutient toujours ses "défenseurs" et considère toujours que ce sont les autres les fauteurs ds troubles et des maux. Regardez Gaza. Accessoirement, cela explique la nécessité des convois humanitaires russes : non, il ne s'agit pas de transporter des T 72, messieurs les journalistes, mais bien de l'eau, des aliments bébé et des médicaments (et accessoirement, rapatrier les corps des soldats russes tombés dans le coin...).
  • Initialement, Poutine a vaguement répété l'erreur "Yanoukovitch" : un Ukrainien ne doit pas avoir pour seule qualité d'être fidèle, il doit aussi faire le job : homme politique ou chef de guerre. Or, ce sont visiblement des amateurs qui avaient initialement pris les commandes, même s'ils étaient conseillés très directement par des gens très polis. C'est bien (maîtrise de l'artillerie, grande capacité à réduire la maîtrise aérienne ukrainienne) mais pas assez. Ceci explique le remaniement d'il y a quinze jours. Certains l'avaient interprété comme le signe que ça partait en ... ouille. Vrai d'une certain façon, mais c'était surtout le signe d'une reprise en main. Du coup, cinq commandants de brigade sur six ont été changés. On voit le résultat au bout de quinze jours avec l'armée ukrainienne sur l recul (ce qui explique peut-être que Poutine se cache moins, cf. photo de l'article, allez voir le billet source)).
  • Dès lors, les Russes auraient mené un combat d'usure, reprenant les choses en main lorsque ça allait trop loin, pile au moment du "point culminant" (je vous en ai déjà parlé, lisez Clausewitz, quoi). Ceci explique la "contre-offensive" lancée depuis deux jours et qui jette une colonne de blindés vers Mariopol, pour ouvrir un troisième front et disloquer le dispositif ukrainien. On verra si ça marchera mais le changement de rythme intervient à un moment crucial.

Cela vous rappelle quelque chose ? Une usure longue sur un front avant de relancer la marche en avant ? Stalingrad, vous disiez ??? Y aurait-il des fondamentaux de la stratégie russe ? Si c'est le cas, c'est d'autant plus remarquable que ça a nécessité :

  • une volonté de fer pour "encaisser" et s'en tenir au plan initial, sans surréaction et avec la capacité d'accepter des pertes jugées minimes tant que l'essentiel (Donetsk et la liaison avec Lougansk ainsi que le contrôle de la frontière) était assuré.
  • des calculs stratégiques de très grand style pour combiner une opération très agile comme la Crimée et une manœuvre opérative comme celle qui se déroule sous nos yeux.

Ceci doit se combiner à une attitude sur les autres fronts (politique, diplomatique, économique et informationnel) que nous regarderons un jour prochain.

A. Le Chardon

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