Aller au contenu | Aller au menu | Aller à la recherche

Ecosse indépendante: sympa ? Ben... mais...

La possibilité d'une Écosse indépendante se rapproche de jour en jour. Non qu'on soit assuré du vote (souvenez vous du dernier référendum au Québec, où le oui semblait l'emporter dans les sondages mais a finalement perdu le jour du vote...) mais en tout cas, il faut en envisager la probabilité. De plus, quand on s'appelle Le Chardon, on ne peut tout à fait rester indifférent à l’Écosse, d'abord parce qu'ils ont inventé le whisky, ce qui n'est pas donné à tous les peuples. Voici donc un billet pour plonger dans l'indifférence ou l'opinion un peu émotive et essayer de donner un peu de raison.

source

Pour le public français, la perspective de l’indépendance de l’Écosse suscite une sorte de sympathie composite et, convenons en, un peu malsaine : il y a tout d'abord le fait de voir confirmé ce qu'on annonce depuis plus d'un an dans l'indifférence générale (ah! ce mépris des élites du genre "mais non, voyons, ça ne peut pas arriver") : petite revanche, forcément un peu mesquine, d'avoir eu raison au bon moment à cause du bon diagnostic. Après, des motifs un peu troubles arrivent : voir rabaisser l'orgueil anglais emplit tout cœur français à peu près normalement constitué d'une joie légèrement vicieuse (le mot n'est pas trop fort), en souvenir de Fontenoy, Waterloo, les crunch rugbystiques perdus et cette foutue classe qu'ils ont, quand même, faut bien en convenir même si ça écorche la bouche de le dire. Quelque chose du genre "ça leur rabaisse leur caquet". Intraduisible en anglais. Justement. Bon, en plus, sachant qu'on était déjà la première puissance d'Europe mais qu'il n'y avait que nous, les Américains et les Anglais à le savoir, cela vaut son pesant de cacahuètes de "démontrer" à la face des autres Européens cette puissance retrouvée. On mettra dans la balance quelques pincées de souvenirs historiques (la auld alliance) surtout romantiques : tout ceci constitue un plat qu'on déguste avec plaisir, convenons en.

Mais vous aurez remarqué que tout ça ne sont pas des arguments, justes des réflexes et des sentiments. C'est important, d'accord. Mais un géopolitologue, tout patriote qu'il soit, doit aussi faire marcher son ciboulot et considérer l'intérêt. Passons donc sur l'intérêt anglais (à l'évidence, Londres n'a pas intérêt à l’indépendance de l’Écosse). Observons l'intérêt européen et français. Et là, force est de convenir que le "mais" arrive en position de tête.

La plupart des commentateurs ont évoqué la renaissance des mouvements indépendantistes. Cela fait quelques mois que je vous en parle, vous n'êtes pas surpris. Faisons toutefois le tour.

  • l'à peu près million de personnes qui a défilé hier à Barcelone montre que le mouvement est incontestablement populaire en Catalogne. Mes amis Espagnols et Catalans m'expliquent que toutefois, l'indépendance n'est pas pour tout de suite. En revanche, un mouvement vers une fédéralisation de l'Espagne paraît inéluctable. Un oui écossais laisserait moins de place aux négociations inévitables qui suivront le référendum du 9 novembre, qui aura une signification politique même si Madrid en dénonce la légalité.
  • En Belgique, j'augurais il y a quatre ans un éclatement. Or, une majorité "socialiste" a conduit le pays et j'observe en ce moment la constitution d'une majorité "de droite". Autrement dit encore (la chose a beaucoup plus d’importance qu'il n'y paraît), les mécanismes belges s'organisent désormais autour de questions politiques (libéralisme ou étatisme, question de l’immigration évidente mais bien silencieuse dans le débat public). Elle remplace le clivage "communautaire" qui n'a été que l'expression de la demande de l'électorat. Au moins la moitié des électeurs du NVA utilisent leur vote pour manifester une attitude "de droite". L'annonce par le NVA qu'il met entre parenthèse, le temps de la législature et du gouvernement avec les membres de la coalition, ces questions communautaires a l'immense avantage de redonner du sens politique aux débats publics. Autrement dit encore, la question "identitaire" ne sert plus de remplacement d'un débat politique épuisé et absent.
  • Le même processus se fait jour en Italie. Plus personne n'entend parler de la ligue lombarde et la Padanie a fortement déçu, au point qu'on voit apparaître des mouvements sous-identitaires : en Vénétie, dans le Frioul ou le haut Trentin. Le vote protestataire s'est déplacé vers le mouvement cinq étoiles.

Il reste que le vote Écossais pose deux problèmes.

Le premier est celui de la possible fragmentation européenne. En effet, le vide politique que nous voyons favorise des offres politiques marginales, dont les autonomistes. Face au chaos de la mondialisation, face à la crise, face à l'absence de perspective européenne, ces autonomismes prospèrent. Leur succès (et le oui en Écosse déclencherait incontestablement un mouvement difficile à stopper) manifesterait que l'Europe a cessé de jouer son rôle d'amortisseur. En effet, la construction européenne compensait, paradoxalement, les décentralisations. C'est bien parce qu'il y avait un pouvoir de recours que les régions acceptaient l'autorité des États, comme l'a très bien montré Sylvain Kahn dans "Géopolitique de l'UE".

Le deuxième est celui de l'offre politique. Il est absolument insupportable d'entendre le TINA, "il n'y pas d'autre politique". Le vote écossais est d'abord un vote politique, bien sûr travailliste mais pas seulement : en effet, la montée du oui s'est déclenchée à la suite des élections européennes et de l'étonnant succès de l'UKIP que j'ai pointé régulièrement, par exemple ici qui date du 1er juin (je cite: "Avec un UKIP qui caracole, il est désormais évident que le référendum écossais va décider de l'indépendance (alors que jusqu'à présent, je disais seulement que c'était une option)").

Ainsi, on peut dire que c'est par attachement européen que les Écossais risquent de voter oui au référendum mais que ce faisant, ils affaibliraient l'Europe.

Du point de vue de la France, la chute de puissance britannique constituerait à l'évidence une mauvaise nouvelle : tout d'abord et même si Paris n'a jamais été très bon à ce jeu là, on n'aurait pas un troisième sommet du triangle pour jouer le triangle amoureux avec l'Allemagne. Cela explique d'ailleurs en grande partie l'option américaine jouée depuis sept ans, désagréable mais logique face à l'attitude de Berlin. Il reste que sans Londres en relatif contre-poids, la partie européenne serait encore plus difficile.

Surtout, nous nous retrouverions les seuls (vous me direz, nous le sommes déjà quasiment) à jouer vraiment du hard power. Pas forcément grave, sauf que les Britanniques seraient tentés d'abandonner l'arme nucléaire. Déjà, il y a deux ou trois ans, le débat avait été sérieusement abordé. L'impossibilité de déménager la base nucléaire en Écosse constitue une menace très sérieuse. Or, un abandon anglais nous laisserait seule puissance nucléaire en Europe ce qui serait à l'évidence très désagréable et susciterait, bien sûr, une grande pression sur notre propre arme. Accessoirement, notre place au Conseil de Sécurité serait fragilisée à l'instar de celle de Londres.

Aussi, pour toutes ces raisons, la raison suggère d'être finalement en faveur d'un maintien écossais au Royaume-Uni. De toute façon, Londres vient déjà de céder énormément de choses et Édimbourg aura, dès la semaine prochaine, énormément de pouvoirs supplémentaires et d'auto-détermination.

Ne fragilisons pas les États, ils subissent déjà bien des outrages. Bref, sympa l'indépendance mais finalement, je voterai non.

A. Le Chardon

Commentaires

1. Le samedi 13 septembre 2014, 13:24 par Ph Davadie

Certes, mais ce discours est rationnel, or ces questions sont forcément irrationnelles. Des votes poussés par la raison n'auraient jamais amené à l'indépendance de certains États, incapables de survivre et au profit desquels l'ancienne puissance coloniale doit intervenir.
Sékou Touré (je crois) disait "mieux vaut l'indépendance dans la pauvreté que la richesse dans l'esclavage".
Le billet "impressions d'Ecosse" sur mon blog (http://informatiques-orphelines.fr/...) est illustré d'une photo placardée dans les rues d’Édimbourg (entre autres) qui montre le niveau du débat.

Le vote pour l'indépendance de l’Écosse n'est-il pas en fait à l'image du cyberespace à savoir qu'il impose de se poser des questions qu'on croyait résolues ad vitam aeternam ? Une des premières étant d'interroger les États centraux quant à leur rôle et utilité. Malheureusement, la réponse la plus souvent entendue consiste à dire qu'on ne change pas une équipe qui gagne. Mais il se trouve que l'équipe ne gagne plus vraiment.
Alors, que faire ?
Mitterrand, en son temps, avait choisi de s'arrimer à Kohl. Puis Kohl s'est intéressé à ses territoires de l'est occupés. Était-ce raisonnable ?
La mission d'un chef d’État n'est-elle pas aussi de faire une politique raisonnable et efficace à partir des souhaits irraisonnés de ses concitoyens ?

2. Le samedi 13 septembre 2014, 17:16 par Yves Cadiou

Je voterai OUI précisément pour les motifs que vous invoquez pour voter non. Je voterai oui et ce ne sera pas pour les raisons « malsaines », « un peu mesquines », « un peu troubles », « légèrement vicieuses », « qui écorchent la bouche », « sentimentales », « en souvenir de... » mais bien au regard de l'intérêt français (j'évacue le prétendu « intérêt européen » aussi longtemps que personne ne m'explique ce que ça veut dire).
.
Les mouvements indépendantistes en seront peut-être renforcés ça et là, chez certains de nos voisins qui voudraient être, mais ne sont pas, des Nations ou des États. Ce n'est pas le cas de la France où les indépendantismes ne sont vigoureux que dans la mesure où ils savent qu'on ne les prendra pas au mot.
.
Ce que vous appelez « le vide politique » que vous voyez un peu partout et que l'indépendance écossaise incitera à combler dans des conditions encore indécises (conditions que vous appelez « l'offre marginale »), je dois dire au risque de surprendre que ce vide politique n'existe pas chez nous. Certes nous souffrons d'une vacuité politicienne, d'un problème institutionnel qui s'est développé depuis quarante ans, parce que nous donnons tous les cinq ans un pouvoir absolu à un individu sélectionné par les partis politiques. Or ceux-ci ne sont rien de plus que des coalitions d'élus locaux : nos monarques provisoires, incompétents et présentés à nos suffrages par des incompétents, nous condamnent à la vacuité politique mais nous ne souffrons pas à proprement parler de « vide politique » : les blogs confirment tous les jours, après qu'un referendum l'a démontré en 2005, que la pensée politique en France est vivace et que le TINA n'y fonctionne pas.
.
La chute de puissance britannique ne sera pas une mauvaise nouvelle pour la France, au contraire. Les British sont de notre côté seulement quand ils sont faibles : voyez leur indifférence à notre égard en 1870, voyez à l'inverse leur sollicitude en juin 40 du fait des progrès de l'aviation.
S'il est vrai (je ne sais pas, mais supposons) que nous devrions nous appuyer sur Londres pour équilibrer Berlin, ceci ne résulterait que de la nullité de notre classe politique : le soutien d'une puissance étrangère est indispensable à ceux qui n'ont pas assez de force de caractère ni de hauteur de vue pour développer leur propre conception des affaires du monde et appuyer leur action exclusivement sur la volonté du Peuple de France. De ce point de vue Londres nous sert de béquille : je réfute cet argument parce que je ne veux pas croire que nous serons éternellement gouvernés comme nous le sommes depuis quarante ans.
.
Quant au hard-power, nous sommes déjà depuis longtemps les seuls à en jouer (en cohérence avec mon paragraphe précédent, je précise que pour notre personnel politique, c'est plus par obligation que par conviction) parce que notre armement nucléaire est indépendant, au contraire de l'arsenal britannique. Un OUI écossais ne changera rien pour nous dans ce domaine. Il est vrai que la pression sur notre propre arme sera plus forte et que nos décideurs devront résister aux arguments qui ont convaincu les Ukrainiens de signer le memorandum de Budapest en 1994 avec les résultats que l'on voit vingt ans plus tard. Mais là encore je me refuse à le croire : nous ne sommes pas des Ukrainiens abasourdis par quatre-vingts années de communisme. Si un politicien français cédait aux pressions contre notre armement nucléaire, non seulement il mettrait en jeu sa sécurité personnelle et celle de ses affidés mais ce serait inutilement car sa décision ne serait pas suivie d'effet. Je peux me tromper, bien sûr, mais en France aucun décideur n'a intérêt à prendre le risque de déclencher de cette façon des élections anticipées.
.
Quant au risque de fragilisation des États, vous avez certainement raison. Mais charité bien ordonnée, commençons par consolider le nôtre qui souffre du manque de légitimité de la démocratie dite « représentative ». Sympa l'indépendance et finalement je voterai oui.

3. Le samedi 13 septembre 2014, 18:06 par le concombre masqué

Le Chardon me déçoit un peu: prétendre s'opposer à la volonté du premier peuple britannique voulant rejoindre la zone euro... Parce que j'imagine que c'est la motivation des descendants de Robert Bruce, en un mouvement convergeant de celui d'un autre peuple voulant son indépendance pour rejoindre l'Euro(pe), un peu plus à l'Est? Alors quoi, ne les décourageons pas, des fois que cela puisse inciter les Polonais qui réussissent le tour de force de présider le Conseil de l'Europe sans souhaiter adhérer à l'euro...

D'ailleurs cher Chardon, quid si l'Ecosse indépendante décidait dans la foulée de rejoindre notre glorieuse devise (je parle de l'euro bien entendu) tandis que le Royaume un peu moins uni votait dans le même temps sa sortie de cette si peu unie et dans son cas fort lâche union pas tellement européenne non plus quand on y pense? Hum? Penses-y comme dirait Jean Carmet, les choses derrière les choses. Ce serait farce (ou haggis, comme on veut).

Quant au nucléaire, qui croit encore soixante ans après les accords Lemnitzer-MacMillan (gasp, un écossais!!) que le UK est une puissance plus nucléaire que la RFA qui elle aussi emporte en soutes de ses Tornados ou Eurofighter des bombes nucléaires made in US depuis des décennies? Au contraire, la disparition du pseudo fait nucléaire britannique éviterait à la France de subir le souffle sur sa nuque de l'allié from behind lui serinant qu'elle aussi devrait se satisfaire de ses Polaris (enfin, vous me comprenez!).... Si l'Ecosse liquide le faut semblant nucléaire britannique, la France est plus solide, unique puissance véritablement nucléaire d'Europe. Ca se plaid (écossais).
Et puis, nonobstant votre futur, nous ne sommes pas qualifiés pour voter, alors nous verrons quelle "fleur" l'Ecosse sortira de cet été indien.

ALC : Entendre le concombre masqué défendre l'indépendance écossaise au motif que ça renforcerait l'euro!!! Je rêve absolument. Ou alors ce deuxième degré est tellement maîtrisé que je suis tombé dans le piège.

Ajouter un commentaire

Le code HTML est affiché comme du texte et les adresses web sont automatiquement transformées.

La discussion continue ailleurs

URL de rétrolien : http://www.egeablog.net/index.php?trackback/2431

Fil des commentaires de ce billet