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D'un dimanche l'autre

Voici trois incroyables semaines où bien des masques sont tombés. Cela n'est probablement pas fini car malgré le titre lénifiant du Figaro de samedi qui pensait que tout allait revenir comme avant, il est fort probable que les jours et les semaines qui viennent poursuivent la dimension historique que nous vivons depuis mi-juin, celle d'une brutale accélération de l'Histoire. Même Le Monde de ce soir commence à s'en rendre compte et à sentir monter l'effroi devant la radicalisation des positions, c'est dire si beaucoup de filtres sont disparus de bien des yeux. Aussi est-il temps de faire un point d'étape, qui viendra tempérer le silence dans lequel le Chardon est plongé depuis quelque temps : il fallait digérer et trouver une explication rationnelle au jeu des acteurs, malgré les sommets de sentiments et d'irrationalité vengeresse qu'on est bien forcé d'observer. Pourtant, au-delà de ces passions, des logiques géopolitiques et stratégiques demeurent....

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D'un dimanche l'autre, un peu comme la chronique de Céline, celle qui comptait la fin pitoyable d'un régime, du côté de la Bavière. Pourtant, à parler de ville bavaroise, ce soir sonne un peu comme Munich. Tsipras est-il Daladier ? ou François 1er rentrant de captivité après Pavie et reniant immédiatement toutes les promesses faites pour sa libération ?

Il y a donc trois semaines, Tsipras annonçait un référendum. Premier dimanche. Stupéfaction pour la plupart, rage chez les intégristes de l'austérité budgétaire. On assista à une semaine déjà haute en couleur, où les partisans du oui se faisaient lourdement appuyer par les élites internationales, avec le résultat évident, celle d'un succès du non. Pourtant, Tsipras ne fit pas beaucoup d'efforts pour gagner le vote. Malgré cela, à cause de cela, ce fut un raz-de-marée qui surprit tout le monde. 61,3% des voix, et des jeunes de 18 à 24 ans qui votèrent à 85 % pour le non. Deuxième dimanche, 2ème acte, 2ème rebondissement.

On se disait qu'il avait les mains libres et qu'il pourrait désormais s'opposer aux pressions européennes. Pourtant, dès le lendemain, Varoufakis était sacrifié, puis un contre plan était envoyé par la Grèce qui reprenait la plupart des propositions du oui. On voyait seulement un lien avec la dette. L'analyste était pantois, commençait à s'interroger : que veut Tsipras ? Lui qui en bon marxiste avait joué le rapport de forces depuis cinq mois, pourquoi voulait-il subitement transiger ?

Vint le troisième dimanche, celui d'hier soir. Les esprits étaient chauffés à bloc, les durs s'étaient lâchés, bien décidés à se venger de toutes les avanies subies depuis des semaines. Pensez : un gauchiste qui défiait le système ... Schauble s'en donnait à cœur joie, imaginait un Grexit temporaire et une mise sous tutelle des ressources grecques. On mit de côté la clause "bye-bye temporaire", mais on garda le reste, pis encore : on rajouta sur les conditions proposées à l'occasion du programme du "oui". Et Tsipras céda.

Voilà où l'on en est ce soir. Et on n'y comprend pas grand chose. Pourquoi cette ligne très dure usitée par Tsipas depuis le début pour céder ainsi, quasiment en rase campagne, acceptant toutes les humiliations ?

Plusieurs hypothèses se font jour.

Je ne suis pas complotiste, mais il est fort possible que le brutal changement d'attitude de Tsipras soit dû à des pressions énormes faites sur sa personne. La chose est possible. Toutefois, comment avoir conquis le pouvoir, résisté des mois durant, pris des initiatives folles comme celle de ce référendum pour arriver à ceci ? La chose est contradictoire et Tsipras devrait normalement avoir les moyens d'y résister, surtout grâce à ses 61,3 %.

Alors ?

Une autre hypothèse est celle de la responsabilité de la rupture. Tsipras aurait joué l'alternance de provocation et de transaction de façon à exciter suffisamment les durs (pour ça, c'est réussi) de façon qu'ils prennent l'initiative de la rupture. Avoir signé hier soir n'est encore qu'un coup tactique, pariant sur l'ivresse de colère des Finlandais et des Allemands. A en juger par la déclaration d’un dirigeant finlandais de ce soir, la chose est possible. Alors, il s'agit d'une stratégie de révélation. Déjà, énormément de choses sont apparues : le rôle "bizarre" du FMI, l'impossibilité de rembourser la dette, les méfaits de la politique d'austérité, l'a-démocratie de la direction européenne (avez-vous entendu parler de la Commission, ce weekend ?), etc... Au fond, une œuvre de démolition démagogique de la part de quelqu'un qui sait qu'à la fin, fort du pouvoir qu'il détient et de la légitimité qu'il a, il sera toujours possible de reprendre la main nationalement, souverainement. Car s'il a signé hier, rien ne dit qu'il mettra en œuvre demain ou après-demain. Bref, une immense partie de poker menteur, où celui qui a les nerfs les plus solides gagne. Une partie politique, qui cherche à convaincre et à gagner les opinions.

La dernière hypothèse, celle de la duplicité absolue, celle du plan C; Car le plan B, c'est celui de l'UE qui se prépare à un Grexit mais rares sont ceux qui évoquent la préparation de la Grèce à icelui. Elle est brièvement évoquée ici. Selon cette hypothèse, Tsipras voudrait gagner du temps, beaucoup de temps, certains que quand la Grèce sortira de la zone euro, nombreux seront ceux à venir l'aider : Russie, Chine, États-Unis, fonds spéculatifs.... Tout le temps intermédiaire sert à chacun à se préparer à la phase d'après : stocker des euros en liquide, procéder à tous les virements possibles, se mettre à l'abri. Bref, se mettre en ordre pour éviter la "surprise" qui suivit l'haircut chypriote. Dans le même temps, faire imprimer des drachmes en Russie, au secret. Mais cela prend du temps car il faut ensuite les rapatrier, organiser les transfert et distributions... Les deux voyages en Russie de Tsipras ont peut-être servis à cela. On remarquera au passage la remarquable discrétion de Poutine dans cette affaire, lui qui aurait pu (dû) profiter des événements pour dénoncer l'enfer européen et le manque de solidarité. Tout juste quelques déclarations, juste ce qu'il faut pour rassurer les gens dans leur opinion, mais rien pour embarrasser les uns ou les autres. Le calendrier serait alors très serré et expliquerait la nécessité de gagner du temps à tout prix, même celui des reculades apparemment les plus humiliantes. Jusqu'à la brusque révélation celle du prochain coup de théâtre, celui du IVe acte (dimanche prochain ?). Pour le Ve acte, on verra : la pièce est en tout cas passionnante.

Voici trois hypothèses. Les jours et les semaines qui viennent nous diront ce qu'il en est, si le lapin s'est fait égorger ou s'il avait des nerfs d'acier.

En tout état de cause, nous sommes sûrs désormais d'une chose : la crise ne peut en rester là et l'ire des "garants" du système ne suffira plus à cacher que le roi est nu, l'Europe impuissante et néo-coloniale. Accessoirement, elle révèle également un affrontement caché, celui entre les États-Unis et l'Allemagne. Voici peut-être l'affrontement géopolitique sous-jacent, sur fond (sans fonds!) de monnaie et de dettes abyssales, au moment où la pyramide de Ponzi qu'est le système monétaire international est en train de s'écrouler....

A. Le Chardon

Commentaires

1. Le mercredi 15 juillet 2015, 17:52 par Francius

voici un avis d'un simple citoyen français qui a l'étrange impression de s'être fait floué par la Grèce, parce que oui, je me sens berné par ces Grecs qui ont menti sur leurs comptes publiques, n'ont fait aucune réforme digne de ce nom pour redresser leur économie, demandent toujours plus (toujours des droits mais jamais des devoirs....). Oui je me sens berné parce qu'ils me doivent environ 6000 euros (la France a prêté 40milliards) et qu'ils me les rembourseront jamais. Et qu'on leur donne encore plus de 80 milliards !!!
d'autre part, il faut raison garder : si le non l'a emporté à 61 %, ce que pour seulement 52 % des votants effectifs. ce n'est pas toute la nation grecque. Reste que l'on doit garder la Grèce dans la zone euro, pour des raisons géostratégiques. comme vous le signaler, la Russie joue peut être un jeu très trouble.... En même temps, Poutine a plus besoin de la Grèce dans l'UE que hors de l'UE pour peser sur la politique européenne et force de constater que nous sommes dans la panade pour le moment....

Enfin, il faudrait peut être ré inculqué à tous nos dirigeants les principes de bonne gestion budgétaire : on ne dépense que ce que l'on a. c'est le b.a-ba...

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